Le polari de l’italien parlare (aussi orthographié palari, palarie, palare ou parlary) signifiant « parler », est un argot ou un sociolecte parlé en Angleterre par des populations diverses généralement en marge de la société : des hommes et des femmes de spectacle de cirque et de foire, des lutteurs professionnels, des marins de la marchande, des criminels, des travailleurs du sexe, des homosexuels, etc.
Il y a un débat sur ses origines, certains pensent qu’il aurait été apporté en Angleterre par des marins parlant la lingua franca, d’autres pensent qu’il pourrait avoir été créé par des immigrants italiens.
Il serait peut-être apparu vers le milieu du XVIIIᵉ et le début XIXᵉ siècle dans les pubs et sur les docks de Londres, et utilisé par les marins à bord. Il est également attesté au XIXᵉ siècle à West-End, le quartier londonien des théâtres et du divertissement.
Le polari est un mélange de « Cockney rhyming slang » (argot rimé) et d’argots des marins et des voleurs, de lingua franca et de romani (la langue des Roms) ainsi que de shelta (langue des Travellers, populations nomades d’origine irlandaise). Plus tard, il s’est élargi pour contenir des mots de la langue yiddish ainsi que des termes de l’armée de l’air américaine qui étaient stationnées en Angleterre pendant la Seconde Guerre mondiale puis, dans les années 1960, de l’argot des consommateurs de drogue. D’autres mots sont apparus en prenant en compte des jeux de rythmes et de rimes (comme pour le cockney), ou en inversant des syllabes.
- Le « rhyming slang »(« argot rimé », « argot à rimes ») est un argot originaire de l’est de Londres, aux expressions imagées. Comme son nom l’indique, cet argot se fonde sur des rimes, mais ces rimes sont sous-entendues dans la pratique : l’idée de départ est de faire correspondre à tout mot une paire de mots avec laquelle il rime, puis de supprimer le second mot de la paire dans le langage parlé. Par exemple, « stairs » rimera avec « apples and pears », et on dira donc « apples » pour dire « escaliers ». De même, « phone » rimera avec « dog and bone » et « dog « voudra dire « téléphone ». En pratique, le cockney n’utilise pas le rhyming slang à foison.
Selon un documentaire télévisé de Channel, « il y était une fois (à Londres) », il y avait deux polari :
- Un polari parlé dans l’« East-End » qui mettait l’accent sur le Cockney rhyming slang (argot rimé issu de l’argot londonien de la classe ouvrière).
- Et un polari du « West-End » qui mettait l’accent sur les influences théâtrales et classiques.
Bien qu’il y ait eut des échanges entre les deux, ils garderont leurs spécificités communautaires.
Le Parlyaree
Le polari pourrait dériver du Parlyaree parlé dans les champs de foire depuis le XVIᵉ siècle et continue d’être utilisé par les voyageurs de spectacles en Angleterre et en Écosse.
Son origine pourrait se situer entre la période la mise en place de la Réforme en Angleterre par Henry VIII à partir de 1531 et ses successeurs et l’époque du despotisme puritain d’Oliver Cromwell (1599-1658) où il existait de nombreux interdits religieux. William Shakespeare (1564-1616) dans sa pièce de théâtre, Henri IV, écrite entre 1596 et 1598, a utilisé un mot de Parlyaree : bona (bon, attrayant) dans l’expression bona roba (une dame portant une tenue attrayante).
Il existe un lien entre l’origine du Parlyaree et les spectacles traditionnels de marionnettes de rue (et de plein air) comme celui qui met en scène M. Punch et sa femme Judy et qui s’en servait pour converser. Le spectacle « Punch and Judy » trouve ses racines dans la commedia dell’arte italienne du XVIᵉ siècle et commence à apparaître, après la mort d’Oliver Cromwell (3 septembre 1658), pendant la période de Restauration Stuart qui débute en 1660 et donne lieu à une activité intellectuelle et artistique foisonnante.
C’est là que le personnage qui devint plus tard M. Punch fit sa première apparition en Angleterre le 9 mai 1662, et depuis considéré traditionnellement comme l’anniversaire de M. Punch au Royaume-Uni. Le Daily Telegraph a appelé « Punch and Judy » comme « un incontournable de la scène balnéaire britannique ».
Au XIXᵉ siècle, le Parlyaree/Polari est utilisé dans les marchés aux poissons de Londres, le théâtre ainsi que dans les fêtes foraines et les cirques, d’où les nombreux emprunts au Romani, ainsi qu’à d’autres langues et argots parlés par les gens du voyage.
Les deux dialectes, pourtant presque identiques, partagent le même système numéral et il est donc probable que les racines du Polari et du Parlyaree soit commune. Cependant, certains linguistes distinguent cependant le parlyaree (l’argot des gens du cirque et du spectacle), du polari (parlé par les homosexuels).
Un langage LGBT
Bien que l’origine du polari soit antérieur au XIXᵉ siècle, il connut son âge d’or, principalement concentré à Londres, entre les années 1930 et 1970, où fut employé par la communauté homosexuelle pour s’identifier, en utilisant des mots de polari épars au fil des conversations, ou pour discuter de façon dissimulée.
Il fut popularisé, dans les années 1950 et 1960, par le comédien britannique Kenneth Williams qui utilisait le polari dans ses émissions de télévision et de radio qui comptaient environ 20 millions de téléspectateurs et d’auditeurs, dont l’émission de radio de la BBC4 « Round the Horne » de 1965 à 1968 où il incarne au côté de Hugh Paddick les personnages efféminés Julian et Sandy.
Le polari s’est aussi développé dans le milieu du divertissement et de la marine marchande britannique, où de nombreux homosexuels ont rejoint les paquebots et les navires de croisière en tant que serveurs, stewards et animateurs.
C’était une langue en constante évolution avec un vocabulaire de base de 20 mots dont : bona, ajax, eek, cod, naff, lattie, nanti, omi, palone, riah, zhoosh, TBH, trade, vada et plus de 500 autres mots moins connus. Par exemple,
- « Regardez cet homme gay incroyable avec son joli visage et sa coupe de cheveux fantastique ! »
pourrait se traduire en polari par :
- « Vada that bona omi-paloni with his dolly eek and fantabulosa ria ! »
Son utilisation décline à partir de 1970, avec la décriminalisation de l’homosexualité en 1967 (Sexual Offences Act 1967), le besoin de discrétion des homosexuels devenant moins fort, tandis que le polari est jugé stéréotypé en tant que partie intégrante du camp. Le « camp », terme anglais probablement tiré du français « se camper » (prendre la pose), est utilisé par les historiens de l’art et les critiques culturels pour décrire à la fois un style, une forme d’expression et un regard propres à la culture gay et queer en général.
Tentatives de sauvegarde
Bien que les marins continuent à l’utiliser jusque dans les années 1980, le polari est peu utilisé depuis. Pourtant, il connut quelques initiatives de recherche et de sauvegarde dans les années 2010, comme en 2012 « Polari Mission », un projet de dictionnaire et de cours, et une traduction de la bible du Roi Jean. ; ou le court-métrage « Putting on the Dish » de Brian Fairbairn et Karl Eccleston, sorti en 2015 et dont les dialogues sont exclusivement en polari. En 2016, la chanson « Girl loves me » de David Bowie (sur l’album Blackstar) comporte aussi des paroles en polari ; en 2017 est organisé à Cambridge, dans le cadre du mois de l’histoire LGBT au Royaume-uni, un service religieux en Polari. Le service a été tenu par des étudiants en théologie, et non par des membres du clergé, ce qui a conduit néanmoins à un scandale sur lequel l’Église anglicane a dû publier ensuite un communiqué réprouvant l’initiative.