Le consul général de Patagonie (2/2)

Parallèlement ou complémentairement au prétendant au trône d’Araucanie et de Patagonie, en 1981, l’écrivain et explorateur français, Jean Raspail se proclama « consul général de Patagonie », ultime représentant du royaume d’Orélie-Antoine Ier.

Auteur de romans reconnu, qui portent principalement sur des personnages historiques, des explorations et des peuples autochtones, et dont plusieurs évoquent la Patagonie, à travers l’histoire de la véritable revendication du royaume d’Araucanie et de Patagonie par Orélie-Antoine de Tounens. Il est d’ailleurs lauréat du Grand prix du roman de l’Académie française pour « Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie », publié en 1981.

De cette œuvre romanesque est né un royaume imaginaire, une « patrie de rechange », qui a son drapeau (bleu, blanc et vert) et son hymne national. Selon Jean Raspail, c’est « une seconde patrie, la patrie refuge de ceux qui croient à la transcendance, à la nécessité d’exhausser ses pensées », il voit dans ce royaume imaginaire une terre de rêve et de liberté, une « patrie de rechange », dont nombre de ses lecteurs lui demanderont la nationalité. Aujourd’hui environ 5 000 personnes se revendique de l’esprit patagon et comme l’écrit Étienne de Montety dans son article du 09 avril 2015 :

À la lecture de l’annuaire, on croirait entendre un vieux couplet de la Légion : « Y a des avocats, des médecins, des juges, des marquis, des roussins, d’anciens notaires… » On compte aussi dans cette confrérie des militaires et des ecclésiastiques, « gens de toutes sortes », aurait conclu Apollinaire. Le Service de documentation extérieure patagon a été placé sous l’autorité d’un contrôleur général de la police nationale. Le poste de consultant pour les affaires ferroviaires est occupé par un éminent dirigeant de la SNCF. Et celui de consultant aux affaires éditoriales par l’un des meilleurs professionnels de l’édition parisienne. On note aussi que la Chambre de commerce franco-patagonne est présidée par Michel-Édouard Leclerc et le Conservatoire royal d’art dramatique par Jean-Laurent Cochet.

S’il y a des patagons dans toutes les sphères de la société française, il y en a aussi travers le monde. Il est à noter que le poète Jean-Marie Levet et l’écrivain Valery Larbaud furent naturalisés patagon à titre posthume à la discrétion du consul général, leurs œuvres ayant été considérées comme une magnifique illustration du Jeu du roi.

Le raid sur les Minquiers

En 2015, un article du Figaro, nous informe que :

Des Patagons ont poussé plus loin l’engagement à la cause : en 1998, un commando de marins patagons hissa le drapeau aux trois couleurs sur l’archipel des Minquiers. Ils scellèrent une plaque pour officialiser la prise du rocher au nom de Sa Majesté Orélie Ier et s’emparèrent du drapeau britannique. Quelques jours plus tard, Jean Raspail se rendit en personne rue du Faubourg-Saint-Honoré, à l’ambassade du Royaume-Uni, pour le restituer. Le conseiller britannique qui le reçut lui demanda, interloqué, et vaguement inquiet : « Et qu’allez vous faire maintenant… » Le fait d’armes fut relaté par la presse internationale : Frankfurter, The Independant, etc. «Invaded», titra le Daily Mail, et la chroniqueuse du Daily Telegraph commença ainsi son papier : « The Iles Les Minquiers are ours again. »

Toujours le même journal :

Durant l’été 2012, un « hangar à dirigeables » situé à Écausseville (Manche) fut assailli à son tour par une escouade de Patagons qui établit la souveraineté du roi sur cette base. L’affaire fit les délices de la presse locale, exprimant à la fois la stupéfaction et l’amusement devant ces aventures iconoclastes. Le coup avait été fomenté par des membres de la Société patagonne d’assistance et de sauvetage en mer (Spasm). À leur tête, l’amiral Édouard Guillaud, accessoirement chef d’état-major des armées françaises en exercice. Commentant l’exploit de ses troupes, il déclara : « Nous, Patagons, sommes unis par l’amour des voyages et un grand sens de la dérision et de l’autodérision. La Patagonie est l’utopie parfaite qui permet de jeter un regard différent sur la réalité. »

Bien que pour les Argentins et les Chiliens, cette curieuse suite donnée à cet « l’État fantôme » appartient davantage aux obsessions d’une certaine intelligentsia française qu’à la politique sud-américaine ; quoi qu’il en soit, le royaume de Patagonie a survécu à son roi et Antoine de Tounens a rejoint les héros de Conrad, Kipling, Lartéguy, Schoendoerffer, comme tous ceux qui « voulurent être roi ».

Pourquoi un raid sur les Minquiers ?

Les Minquiers (Mîntchièrs en normand de Jersey) sont un archipel normand situé au sud des îles Anglo-Normandes et qui fait partie du bailliage de Jersey. L’archipel est constitué d’un plateau granitique constellé d’une multitude d’écueils qui découvrent uniquement à marée basse et révèlent un chaos granitique. À marée haute, il ne subsiste qu’une seule île de moins de 1 km², appelée Maîtresse-Île, sur laquelle ont été bâties quelques maisons de pêcheur, mais elles sont inhabitées et servent seulement de refuge occasionnel.

Inhabitables, les Minquiers comme le petit archipel voisin des Écréhou servirent de repaire pour les contrebandiers, notamment au XIXᵉ siècle, pour « y cacher pendant quelques semaines les denrées qu’ils cherchaient à introduire clandestinement en France ou à Jersey ». Selon les époques et les besoins, ils virent ainsi transiter des « Indiennes », des draperies, de la laine, du plomb, de l’étain et du tabac (tous produits dits de « commerce libre », alimenté par les cargaisons ramenées par les corsaires depuis 1689).

Le litige entre la France et l’Angleterre

Du début du XIIIᵉ siècle jusqu’au milieu du XXᵉ siècle, la France et l’Angleterre entretenir un conflit à propos de la souveraineté des Minquiers et des Écréhou.

Les origines du conflit

En 933, ce que nous appelons aujourd’hui les îles Anglo-Normandes furent annexés au duché de Normandie. Après Guillaume le Conquérant et la conquête de l’Angleterre en 1066, les Écrehou firent partie de l’ensemble anglo-normand. Le duché reconquit par le roi de France Philippe Auguste en 1204, les îles ne furent apparemment pas réclamées lors de l’annexion du duché, bien qu’en 1259, le roi Henri III d’Angleterre rendit pourtant un hommage au roi de France Saint-Louis pour les îles normandes, dont les Minquiers et les Écréhou.

Les droits de pêches

Au XIXᵉ siècle, alors que les Conventions sur la pêche se succédaient et modifiaient sans cesse les limites des eaux territoriales, de nombreux conflits survinrent entre les autorités britanniques et les pêcheurs français. En juin 1939, un groupe de pêcheurs français des îles Chausey, emmené par le peintre de la marine Marin-Marie, débarqua aux Minquiers sur la Maîtresse-île pour affirmer la souveraineté française sur l’archipel.

Après cet incident diplomatique, qui faisait suite à des conflits réguliers entre pêcheurs chausiais et jersiais, la France et le Royaume-Uni décidèrent en 1950 de régler le litige sur une base strictement juridique et déposèrent une demande d’arbitrage auprès de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye.

Le jugement

Au préalable, la question des droits de pêche avait été réglée séparément ; elle fait encore aujourd’hui l’objet d’un accord commercial entre les parties.

Le Royaume-Uni basait ses prétentions territoriales sur la conquête de l’Angleterre par le duc de Normandie en 1066, ce qui constituait un lien historique entre le royaume d’Angleterre et le duché dont dépendaient les Minquiers et les Écréhou. La France, quant à elle, se basait sur la reconquête de la Normandie par le roi de France en 1204. Mais cette dernière n’avait concerné que la partie continentale du duché et la mention des deux archipels ne put être trouvée dans aucun des traités portés au dossier français (traité de Paris de 1259, traité de Calais de 1360, traité de Troyes de 1420). Finalement, la décision de la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye fut rendue en 1953, elle donnait tort, à l’unanimité, à la France.

La Patagonie Septentrionale

En 1984, l’écrivain français Jean Raspail, auteur des mémoires d’Orélie-Antoine de Tounens, débarqua aux Minquiers pour y faire flotter le drapeau du royaume de Patagonie, dont Antoine de Tounens (1825-1878) avait été le premier roi. Les Minquiers furent alors rebaptisées, pour une journée, Patagonie Septentrionale, et la Maîtresse-Île : Port-Tounens. Cet épisode, qui faisait suite à la demande ironique de l’écrivain faite au Royaume-Uni d’évacuer les îles Malouines (îles Falkland), il expliquait que l’invasion des Minquiers était une riposte à l’« occupation » britannique des îles Malouines, dans l’océan Atlantique Sud, et justifiait « Comme les Malouines appartenaient symboliquement au roi de Patagonie, la Patagonie occupe les Minquiers puisque les Britanniques occupent les Malouines ».

Cette péripétie provoqua un petit incident diplomatique avec la France, toutefois sans conséquence puisqu’elle continuait à reconnaître la souveraineté britannique sur ces îles.

Cette revendication était aussi un clin d’œil à la récente actualité de l’époque, car les îles Malouines, ou Falklands, furent l’objet deux années plus tôt d’un conflit armé entre le Royaume-Uni et l’Argentine à propos de la souveraineté sur les îles, où celles-ci furent envahies par les troupes argentines et reprisent rapidement par les troupes britanniques, durant ce que l’on a appelé la guerre des Malouines (2 avril au 14 juin 1982).

Le geste fut renouvelé en 1998, 2012, 2014, 2016, et de nouveau, du 22 au 24 octobre 2019, le pavillon patagon flotta sur l’archipel, et les portes des toilettes furent repeintes aux couleurs patagones. Passées relativement inaperçues en France, ces expéditions eurent en revanche un fort écho en Angleterre, où elles firent la une des journaux.

La lettre de port Tounens

le BLAP = Bulletin de Liaison des Amitiés Patagones aussi appelé le Moniteur de Port-Tounens. Ce bulletin est édité par la Chancellerie du Consulat général de Patagonie. Il est aussi l’unique lien entre le Consulat et plus particulièrement le Consul, qu’était Jean Raspail (1925 – 2020), et les Patagons qui se l’arrachent.

Sa rubrique la plus intéressante est bien sûr l’annuaire diplomatique et consulaire (je n’invente rien). Encore plus chic que le botin mondain, plus sélectif que le Who’s Who, il recense, par départements, tous les Patagons naturalisés et en règle avec la Chancellerie… Une étude approfondie révèle quelques surprises !

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