Le paludisme ou malaria
Le paludisme affecte les êtres humains depuis plus de 50 000 ans (pléistocène), il pourrait avoir été transmis par les singes et serait originaire d’Afrique. Les chimpanzés abritent un parasite du paludisme, le Plasmodium reichenowi, celui-ci est un proche parent du Plasmodium falciparum contracté par les gorilles. C’est celui-ci qui pourrait être à l’origine du parasite humain.
Le paludisme est considéré comme l’une des maladies les plus mortelles de l’histoire de l’humanité. Une spéculation controversée estime que la moitié de la totalité des humains ayant existé sont morts du paludisme, soit au total 54 milliards d’humains.
La propagation du paludisme aurait été favorisé, il y a environ 10 000 ans, par le changement climatique lié à l’Optimum climatique de l’Holocène (- 9 000 à – 5 000 ans), le début de l’agriculture (néolithique – 8 000 à – 3 000 ans) donc à la sédentarisation et la poussée démographique.
Dès les premiers écrits de l’antiquité, des fièvres mortelles – dont probablement le paludisme – ont été rapportées. Une étude récente (2010) a démontré que Toutânkhamon était atteint de paludisme au moment de sa mort vers 1327 av. J.-C..
En Inde, les Veda (« Textes de la connaissance ») font état des fièvres paludiques ; les médecins Charaka et Sushruta (probablement Vᵉ siècle av. J.-C.) en font une description et lui associent déjà la piqûre de moustique.
Les symptômes de fièvre intermittente ont été décrits par Hippocrate ; il lie ces fièvres à certaines conditions climatiques et environnementales, et les divise en trois types : febris tertiana (tous les trois jours), quartana (tous les quatre jours), et quotidiana ou continua (maintenant appelée tropica).
Vers 186 av. J.-C. apparaît, dans certaines régions de Chine, l’utilisation, en tisane, du qing hao su appelé plus tard artémisinine en Occident et extrait d’une plante médicinale utilisée comme antipyrétique appelée qing hao (Artemisia annua ou « Armoise annuelle »).
D’usage encore plus ancien, les racines du chángshān (Dichroa febrifuga) ont aussi d’indubitables effets médicinaux. On trouve ainsi des références des périodes de fièvre paludique en Chine et à des symptômes de cette maladie dans le Huangdi Neijing (« Le Canon de Médecine ») datant des environs du Ier siècle avant notre ère.
Dichroa febrifuga
Dichroa febrifuga est une herbe importante dans la médecine traditionnelle chinoise, où elle est considérée comme l’une des 50 herbes fondamentales. On pense que les alcaloïdes fébrifugine et isofébrifugine sont responsables de ses effets antipaludiques. Dans les préparations, elle est utilisée conjointement avec Glycyrrhiza glabra (réglisse), Ziziphus jujuba (jujubier) et Zingiber officinalis (gingembre).
L’Armoise annuelle
Artemisia annua, l’armoise annuelle ou absinthe chinoise originaire de l’Ancien Monde (Eurasie, Afrique du Nord). Elle est utilisée en médecine traditionnelle chinoise sous forme de tisane pour traiter la fièvre. L’armoise annuelle contient plusieurs substances actives dont l’artémisinine, efficaces pour lutter contre les parasites du genre Plasmodium, qui sont les agents du paludisme. Elle s’est révélée efficace à titre curatif et préventif contre des formes graves de paludisme (en particulier contre Plasmodium falciparum devenu en de nombreux endroits résistants aux médicaments classiques). Des études scientifiques confirment cette propriété et l’Organisation mondiale de la santé (OMS) encourage des programmes de soins et de culture. Par contre, une monothérapie à base d’artémisinine ou de ses dérivés est déconseillée pour éviter l’émergence de souches de Plasmodium résistantes.
En Chine, l’Artemisia annua a été étudiée (2002 – 2004) pour traiter le SARS-CoV – le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) avec des effets significatifs.
Fièvres palustres et fièvres intermittentes
Les fièvres palustres désignent le paludisme ou la malaria, mot venant de mal’aria (littéralement le « mauvais air ») était appelé également « fièvre des marais » qui est maladie infectieuse due à un parasite du genre Plasmodium, propagée par la piqûre de certaines espèces de moustiques anophèles.
Les fièvres intermittentes étaient autrefois assimilées à une ou plusieurs maladies qui s’opposaient aux fièvres d’un seul tenant ou fièvres continues. Elles désignaient toutes les maladies caractérisées par des accès fébriles répétés et séparés par des périodes sans fièvre (dite « périodes d’apyrexie ») de plusieurs jours. Historiquement, le terme fièvre intermittente était souvent utilisé comme synonyme de malaria.
À la fin du XVe siècle, la pharmacopée médiévale est totalement impuissante devant les ravages engendrés par le paludisme, mais elle va profiter de l’exploration et la colonisation du Nouveau Monde pour prendre connaissance de nouvelles plantes et d’élargir ses moyens d’action.
Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, la médecine européenne est restée inopérante contre les fièvres palustres. Pourtant, tous les étés, des fièvres intermittentes frappaient les populations du bassin méditerranéen. Peu à peu, la maladie s’était étendue vers le nord ; elle atteignit les côtes méridionales de l’Angleterre au XVIe siècle et traversa l’Atlantique avec les colons européens.
Dans certains endroits d’Angleterre, la mortalité due à la malaria était comparable à celle de l’Afrique subsaharienne d’aujourd’hui. Même si William Shakespeare est né au début d’une période plus froide appelée le « petit âge glaciaire », il connaissait suffisamment les ravages de cette maladie pour les citer dans huit de ses pièces.
À cette époque, Rome était la ville la plus impaludée du monde. Plusieurs papes moururent de cette maladie dont les fièvres étaient imputées au « mauvais air » d’après la théorie des miasmes d’Hippocrate où les médecins du Moyen Âge soignaient les fièvres intermittentes (tierce, quarte, double tierce, etc.) en pratiquant la saignée, associée à des purgatifs et des fébrifuges (comme la gentiane).
Il faut attendre les XVIIIe et XIXe siècles pour avoir les premières études scientifiques permettant de poser les premières hypothèses sur l’origine de la maladie et la compréhension de son traitement.
C’est Charles Louis Alphonse Laveran (1845-1922) médecin militaire et parasitologiste français, pionnier de la médecine tropicale, qui a découvert, en 1880, le parasite protozoaire responsable du paludisme. Pour la première fois était mis en évidence que les protozoaires pouvaient être la cause de maladies. Ses travaux lui ont valu de recevoir le prix Nobel de physiologie ou médecine de 1907.
Le paludisme en France au XIXe et XXe siècle
Jusqu’au XIXe siècle, des épidémies de paludisme pouvaient se produire jusque dans le nord de l’Europe. La régression du paludisme en Europe est principalement due à l’assèchement des marais et au drainage des zones humides. La maladie a commencé à régresser, comme ailleurs en Europe, avant l’utilisation de la quinine, qui fut d’ailleurs employée au début de façon inappropriée, trop tardivement ou en doses trop faibles. L’adoption de la quinine a servi toutefois à accélérer la disparition de la maladie dans les régions où elle était en régression.
Durant tout le Moyen Âge et jusqu’aux XVᵉ et XVIᵉ siècle, le paludisme affectait surtout les campagnes alors que bon nombre de cités était établi le long des fleuves. La Renaissance vit une recrudescence des fièvres, les guerres de Religion forçant les citadins à s’enfermer dans des murailles entourées de fossés aux eaux croupies.
L’épidémie de Pithiviers, en 1802, était due à une très grosse crue, d’ampleur inhabituelle, qui avait couvert d’eau les prairies avoisinantes pendant plusieurs semaines.
Il en fut de même à Paris, la fin du XIXᵉ siècle, lors des grands travaux du baron Haussmann : en effet, ces travaux ont occasionné des creusements importants et de longue durée. Les flaques, mares et autres points d’eau croupie perduraient longtemps, engendrant une pullulation d’anophèles au milieu d’une grande concentration d’humains. De plus, un grand nombre d’ouvriers venaient de régions infectées et étaient porteurs du plasmodium.
En France métropolitaine, la malaria n’a disparu que relativement récemment. Elle était encore présente en 1931 dans le marais poitevin, la Brenne, la plaine d’Alsace, les Flandres, les Landes, en Sologne, en Puisaye, dans le golfe du Morbihan, en Camargue…
Sa disparition brutale a étonné les chercheurs, à tel point qu’on a pu parler à ce propos de disparition spontanée, voire de disparition mystérieuse. Il semblerait que cette disparition après-guerre ait eu de multiples causes dont l’usage du DDT ou dichlorodiphényltrichloroéthane. Dans des régions comme la Sologne par exemple, diverses innovations agronomiques portant notamment sur les pratiques culturales ont pu à cet égard jouer un rôle appréciable en cumulant chacune leur effet.
Le paludisme endémique a complètement disparu en France métropolitaine en 1960.
Le DTT, bien qu’abondamment répandu par des escadrilles entières de petits avions « Piper cub » sur les terres basses et les étangs de la Plaine orientale de la Corse en 1943 (pour être utilisée comme base aérienne par l’US air Force), cette maladie n’a été éradiquée de l’Ile de Beauté qu’en 1973. Inconnu du temps de la présence romaine, le paludisme y fut introduit lors des raids vandales. La Corse connaît sa dernière épidémie de cas non importés à Plasmodium vivax de 1970 à 1973. Fait notable, en 2006 est survenu un cas autochtone de Plasmodium vivax sur l’île.
Depuis, la quasi-totalité des cas observés en France métropolitaine sont des paludismes d’importation.
La quinine
La quinine est un alcaloïde naturel utilisé dans le traitement des crampes musculaires, comme régulateur cardiaque, mais surtout comme antipaludique/antimalarique. Extraite du quinquina, un arbuste originaire d’Amérique du Sud, elle était utilisée pour la prévention du paludisme (ou « malaria ») avant d’être supplantée par ses dérivés : quinacrine, chloroquine, et primaquine.
La Quinine en thérapeutique est un ouvrage médical de Louis-Ferdinand Céline écrit en 1925, il constitue une synthèse des connaissances de l’époque sur le sujet.
La quinine est l’un des ingrédients de certaines boissons gazeuses de type « Tonic » (eau tonique).
Les antipaludiques de synthèse
La Seconde Guerre mondiale change complétement la donne avec la destruction des stocks de quinquina lors des bombardements d’Amsterdam par les Allemands et l’invasion de l’ile de Java par les Japonais.
Durant les campagnes d’Afrique du Nord et de Sicile, l’armée américaine eut plus d’hommes mis hors de combat par le paludisme que par les combats. Les alliés Australiens et Américains dont les soldats combattent dans des zones impaludées du Pacifique doivent chercher d’autres approvisionnements.
Les États-Unis lancèrent le « Cinchona program » qui, entre décembre 1941 et août 1945, leur permit d’importer 30 millions de livres d’écorces de quinquina sèches d’Amérique latine. Les Alliés se tournèrent également vers les plantations des colonies françaises et belges d’Afrique. Le Congo belge va devenir alors le premier producteur mondial de quinquina.
Mais les Américains et leurs Alliés se lancèrent aussi dans un effort de recherche d’antimalariques (ou antipaludiques) de synthèse.
La phase finale de cette longue histoire sera l’œuvre de l’industrie chimique. L’Allemand Bayer avait mis au point en 1934 une substance appelée résochine aux propriétés antimalariques intéressantes, mais rejetée en raison de sa toxicité. IG Farben (Bayer) transmet alors les droits à sa filiale américaine Winthrop-Stearns.
Des essais cliniques furent menés avec la sontochine et la résochine en Tunisie (sous domination allemande) par le Dr Philippe Decourt, des laboratoires Rhône Poulenc-Specia qui avaient passé un accord sur la sontochine avec IG Farben en juillet 1941.
Les essais montrèrent la bonne efficacité et la bonne tolérance des molécules. La résochine reçut le nom de chloroquine en février 1946 ; en France, elle fut mise sur le marché en 1949 sous le nom de Nivaquine, aux États-Unis sous le nom d’Aralen.
Dans les années 1950, les antipaludiques de synthèse éclipsent totalement la quinine d’extraction, beaucoup plus chère. Mais leur prescription sans contrôle favorise l’émergence de souches résistantes. Les médicaments ACT (Artemisinin-based combination therapy, composée par l’association de deux molécules, une molécule semi-synthétique dérivée de l’artémisinine et une molécule synthétique) sont actuellement recommandés par l’Organisation mondiale de la santé.