Angelo Mariani
Fils d’un apothicaire corse, dont le nom officiel est Ange-François Mariani (1838 – 1914), arrive à Paris au début des années 1860, pour suivre des études en pharmacie. Par la suite, il est préparateur dans plusieurs officines dans lesquelles il est notamment responsable des toniques à base de quinquina.
Passionné par les travaux de Paolo Mantegazza sur les effets de la plante de coca et de ceux d’Albert Niemann qui isolent à partir de cette plante la forme cristalline de la cocaïne, il met au point avec l’un des premiers médecins à utiliser la cocaïne pour ses propriétés anesthésiques, le docteur Pierre Fauvel, un « vin de coca ». L’idée d’ajouter de la coca à du vin n’était pas nouvelle, bien que Mariani se soit attribué par la suite un rôle de pionnier.
En 1863, une cantatrice de l’Opéra, enrouée, vient à la pharmacie de la part de son laryngologue, le docteur Fauvel qui désirait du « vin de coca », mais le jeune préparateur n’en a pas. Il va recueillir quelques gouttes de sa plus récente préparation, une infusion de trois variétés de feuilles de coca dans du vin de Bordeaux. La diva, après avoir goûté ce faible échantillon de « boisson tonique », prononce : « c’est excellent, vous m’enverrez douze bouteilles ».
Soucieux de s’enrichir et d’assurer sa renommée, le jeune Angelo Mariani fait breveter la préparation qu’il baptise « Vin tonique Mariani à la coca du Pérou », qui sera connue sous le nom commercial de « vin Mariani ».
Les ventes sont telles que Mariani ouvre sa propre pharmacie puis fait élever dans les années 1880 une usine vouée à la transformation de la coca. Il expérimente dans ses serres de nouvelles techniques d’amélioration et d’acclimatation de la plante et fait bénéficier de ses découvertes les jardins botaniques du monde entier.
Mariani accroit encore sa notoriété aux États-Unis quand son vin est donné en 1884 au président américain Ulysses S. Grant atteint d’un cancer de la gorge en phase terminale, ce qui le soulage de ses souffrances et lui permet d’achever la rédaction de ses Mémoires.
Il se trouve rapidement à la tête d’une firme prospère dont l’empire commercial s’étend jusqu’à Londres et New York.
New York où il est encensé par le docteur William Golden Mortimer membre de plusieurs académies de science et de médecine de la ville, qui lui dédie son livre qu’il publie en 1901, « Peru, history of coca, the divine plant of the Incas ». Tous deux partageant la même passion de l’étude de la coca et considérant Mariani comme un Merlin des temps moderne.
Le vin tonique Mariani
Le vin étant commercialisé dans une bouteille de 50 cl : 60 g de feuilles de coca sont macérées dans de l’alcool (probablement du cognac), puis dans du vin de Bordeaux où est ajouté 6 % de sucre.
Rapidement, la boisson a un énorme succès à travers toute l’Europe où elle est prescrite avec succès pour combattre la grippe, le vin se targue de soigner les affections nerveuses, l’anémie, l’impuissance.
Drogue légale vendue aussi bien dans les pharmacies comme médicament que dans les bars comme apéritif, son vin contient entre 6 et 7 mg de cocaïne dans chaque bouteille qui titre 14 à 17°. En France, la version cocaïnisée du vin Mariani est inscrite pour la première fois au Codex pharmaceutique en 1884 et sera autorisée jusqu’en 1910, année de son interdiction.
Publicité et album Mariani
Cette boisson, très consommée à la Belle-Époque, connue des débuts modestes dans les années 1870 et ne se commercialise que par le biais de modestes entrefilets dans les colonnes des quotidiens, des revues mondaines et des magazines culturels. Puis, cautionnée par le succès rencontré par le docteur Fauvel, dans les pages des publications médicales, la « réclame » se fait plus détaillée.
Tout bascule lorsque Mariani fait appel en 1877 à Albert Robida (1848 – 1926), illustrateur, caricaturiste à La Vie parisienne, mais aussi graveur, journaliste et romancier d’anticipation, ce qui lui permet pendant plus de dix ans les bienfaits du vin Mariani soient annoncés dans la presse sur des pages entières.
Puis, il fera appel au talent de Jules Chéret peintre et lithographe français, maître de l’art de l’affiche.
Mariani est un précurseur de la vente sur catalogue, sur publicité identifiée ou rédactionnelle dont il systématise l’emploi.
Il a fait la promotion de son produit en recueillant les témoignages enthousiastes de plus de 1 000 personnes illustres parmi lesquelles Alexandre Dumas, Émile Zola, Thomas Edison, les Frères Lumières, Jules Verne, la reine Victoria ou le président américain McKinley… mais le point d’orgue fut sans nul doute l’approbation du pape Léon XIII, qui a décerné à Mariani une médaille d’or spéciale. Une publicité l’affirme : Le pape Léon XIII, qui a toujours une fiole avec lui en cas de nécessité, lui décerne une médaille « spéciale » en signe de son approbation officielle.
L’ensemble de ces recommandations sont éditées entre 1894 et 1925 dans les quatorze volumes de l’Album Mariani.
Le coca Mariani
Les héritiers d’Angelo Mariani arrêtent la production du vin dans les années 1950. Ils créent une nouvelle boisson appelée « Tonique Mariani » qui reste en vente dans les pharmacies jusqu’en 1963.
C’est en 2014, que Christophe Mariani en accord avec la famille d’Angelo Mariani, créateur du breuvage, décide de relancer la production du vin Mariani, mais avec une formulation décocaïnisée.
Partant du constat que plus personne ne se souvient du goût du vin Mariani originel, l’actuel président de la société Coca Mariani et grâce à l’aide d’un expert a réussi à cocoter une nouvelle recette à base de vermantinu un cépage corse qui provient d’une coopérative installée à côté d’Aléria et du précieux alcool de coca décocaïnisé qui arrive directement de Bolivie, auquel s’ajoute une liste de plantes dont la noix de kola, le myrte… pour la macération.
Mais en 2019, après avoir déposé la marque en France, la maison Coca Mariani effectue les démarches devant l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle. Coca-Cola s’y oppose considérant que le mot Coca, de la marque Coca Mariani présente un risque de confusion.
Concurrences et origine du Coca-Cola
Le succès d’Angelo Mariani et de son vin de coca inspire la concurrence et différents produits similaires voient le jour, comme « la Coca des Incas » et le « Vin des Incas », par exemple.
Au moment où Angelo Mariani a commencé à exporter son produit aux États-Unis en 1891, il y avait déjà plusieurs toniques à base de cocaïne sur le marché.
Pour rivaliser avec eux, il a dû augmenter la teneur en cocaïne de 6 mg à 7,2 mg par once liquide américaine (soit 1/128 de gallon américain, soit exactement 29,573 529 562 5 ml).
Le Coca Beef Tonic de Liebig Co. faisait partie des produits déjà présents sur le marché américain, tel le démontre les articles de presses suivants :
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Une annonce datant du 30 décembre 1880 dans un journal de Fitchburg (Massachusetts) affirme que ce tonique reprend les éléments nutritifs du bouillon de viande de bœuf concentré auquel il associe aux puissantes vertus toniques de la Coca le tout macérer dans du vin de Sherry Amontillado.
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Une autre annonce datant du 10 août 1881 dans un journal de Davenport (Iowa) déclare que l’élixir était « prescrit par les médecins les plus éminents pour les faiblesses pulmonaires, la chute des cheveux, (appliqué sur le cuir chevelu), les irritations de la gorge, l’asthme, l’essoufflement, la toux chronique et toutes les afflictions nerveuses. »
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Une annonce de Liebig parue dans le numéro du 3 février 1885 dans un journal de New York citait le lieutenant de l’U.S. Navy à la retraite Lardner Gibbon (« Commodore Gibbon »), explorateur de l’Amazonie au début des années 1850, disant : « La Coca a des propriétés si merveilleuses qu’elle permet aux Indiens, sans aucune autre nourriture, d’effectuer des marches forcées pendant cinq et six jours. C’est tellement fortifiant et tonique qu’en le mâchant seul, ils effectuent des voyages de 300 milles à pied sans paraître le moins du monde fatigués.
La formule du Coca Beef Tonic connaît plusieurs variétés :
- Coca Beef Tonic avec Quinine de Liebig Co. : 5 g de Coca ; 3 g d’écorce de Calisaya ; 2 g de Quinine.
- Coca Beef Tonic de Liebig Co. avec fer et quinine : 5 g de Coca ; 3 g d’écorce de Calisaya ; 2 g de Quinine ; 2 g de citrate de fer.
- Coca Beef Tonic de Liebig Co. avec Fer, Quinine et Strychnine : 5 g de Coca ; 4 g de citrate de fer ; 2 g de Quinine ; 1/60 g de Strychnine.
- Coca Beef Tonic de Liebig Co. avec Fer, Quinine, Strychnine et Pepsine : 5 g de Coca ; 1 g de Quinine ; 2 g de pyrophosphate de fer ; 1/32 g de Strychnine ; 3 g de Pepsine.
- Coca Beef Tonic de Liebig Co. avec Calisaya : 5 g de Coca ; 1 g de citrate de Fer ; 1/2 g de Quinine ; 10 g d’écorce de Calisaya.
- Coca Beef Tonic de Liebig Co. avec Calisaya, Fer et Phosphore : 5 g de Coca ; 10 g d’écorce de Calisaya ; 4 g de Pyrophosphate de fer ; 1/100 g de Phosphore.
- Coca Beef Tonic de Liebig Co. avec pepsine : 5 g de Coca ; 5 g de Pepsine.
En 1896, une inspection de l’agence sanitaire de l’État du Massachusetts a révélé que le « Coca Beef Tonic » contenait 23,2 % d’alcool.
Le tonique Liebig a été produit à New York, Paris et Londres .
Un « Dr. Scott » de Kansas City avait réalisé lui aussi un tonique à la coca et à l’extrait de bœuf, auquel il a ajouté du fer et du phosphore.
Un pharmacien dénommé H.A. Estabrook originaire de Fitchburg, a vendu à New York un « Coca Wine Bitter » consistant en une macération d’extrait de coca, de pissenlit, de bardane, de mandragore, etc. dans du vin provenant du vignoble « Gold Seal » produit dans le comté de Steuben dans l’État de New York.
Une entreprise de Hartford, dans le Connecticut, a fabriqué du « Wyomoke Tea », à base de feuilles de coca. Il était présenté comme un remède pour divers maux, y compris la névralgie et les maux de tête chronique.
Un autre tonique contenant de la cocaïne était le « French Wine Coca ». Une annonce parue dans « The Atlanta Constitution » le 8 juin 1884 décrit un produit en ces termes : « Un tonique et un revigorant aidant au rétablissement de la santé, de force et aidant au maintien en vie. » L’annonce revendiquait également : « Il améliore l’appétit, facilite la digestion, favorise la nutrition, régule le foie et les intestins. Une aubaine pour tous ceux qui souffrent de nervosité, d’hystérie, de névralgie, de mélancolie, etc. ».
C’était le breuvage inventé par John Stith Pemberton (1831-1888) un pharmacien d’Atlanta (États-Unis). On ne sait pas exactement quand Pemberton a commencé à expérimenter le vin de coca, mais celui-ci, Vétéran de la guerre de Sécession, avait contracté une addiction à la morphine suite à ses blessures et cherchait à développer une boisson qui pourrait lui permettre de se désintoxiquer progressivement. Il conçoit donc une boisson à base de vin français et de coca péruvien : le « French Wine Coca ».
Largement inspiré des travaux de Mariani, il ajoute des noix de kola à sa recette et qui préfigure le Coca-Cola que l’on connaît aujourd’hui.
Dans une interview accordée en 1885 au « Atlanta Journal », Pemberton a déclaré que la boisson était « composée d’un extrait de feuille de coca péruvienne, le vin le plus pur, et de la noix de Kola ». Il a admis qu’il était calqué sur Vin Mariani.
En 1886, sous la pression des ligues de tempérance, la ville d’Atlanta impose la prohibition, qui entraîne l’interdiction du « French Wine Coca ». Pemberton va alors chercher à convertir son élixir en une boisson de tempérance non alcoolisée en remplaçant le vin de son mélange par un sirop contenant sucre et de l’acide citrique. Ce sera la première version de Coca-Cola qui comporte 8,46 mg par once de cocaïne avant que celle-ci soit d’en être interdite en 1906.
En 1887, la prohibition est annulée et Pemberton décide de reprendre la production de son « French Wine Coca », laissant à son fils celle du Coca-Cola. Le pharmacien meurt le 16 août 1888, après avoir vendu ses pharmacies entre 1887 et mars 1888 et la totalité des droits sur la marque Coca-Cola à ses anciens associés.