Des origines anglo-néerlandaises
L’histoire de la bière aux États-Unis et au Canada remonte à la période coloniale. Elle commence lorsque qu’en 1609 l’anglais Henry Hudson, au service de la Compagnie hollandaise des Indes orientales, remonta le fleuve qui portera désormais son nom qui, en 1614, installa des comptoirs dans toute la région, rebaptisée la Nouvelle-Néerlande ou Nouvelle-Belgique de 1609 à 1674 (Nieuw Nederland ou Novium Belgium) située entre les fleuves Delaware et Connecticut.
Pierre Minuit, troisième gouverneur de la colonie Nieuw Nederland, devenue la Nouvelle-Néerlande, négocie l’achat de l’île de Manhattan aux Amérindiens Lenapes.
Même si les premières traces de brassage dans cette région remonte à 1587, la première brasserie commerciale aux États-Unis fut construite par la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales en 1632 au sud de Manhattan à New York. Puis le 5 février 1663, un certain Nicholas Varlett a obtenu un brevet ouvrir pour une brasserie sur Castle Point à Hoboken dans le New Jersey de Peter Stuyvesant, dernier directeur-général néerlandais à avoir administré la colonie de la Nouvelle-Néerlande, pour le compte de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, avant que les Anglais ne s’en emparent.
Les traditions brassicoles et les populations venues de Grande-Bretagne et des Pays-Bas firent que la consommation de bière fut supérieur à celle du vin.
Tradition allemande et d’Europe centrale
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les bières « ales » de type britannique dominaient le brassage américain, mais cela changea lorsque les immigrants allemands ont apporté leur méthode brassage et leur bière blonde à plus longue durée de conservation se sont avérés plus rentables pour la fabrication et l’expédition à grande échelle. Le houblonnage de la bière fit la différence avec ses qualités de conservation, tandis que les bières locales non houblonnées de l’époque devenaient rapidement aigres et constituaient un risque perçu pour la santé.
La bière blonde brassée par ces sociétés était à l’origine basée sur plusieurs types différents d’Europe centrale, dont la Pilsener : la pils. Ces types de bières utilisant du houblon tchèque doux, de l’orge d’hiver à 6 rangs, pâle et légèrement torréfié, et souvent avec des compléments tels que le riz et le maïs, l’ont progressivement emporté.
La steam beer
La steam beer (« bière vapeur ») est un type de bière de fermentation haute originaire des États-Unis. C’est le seul type proprement américain (quoiqu’il existe une version similaire en Allemagne, la dampfbier). Elle est obtenue par l’adjonction de levure à fermentation basse portée à haute température, ainsi que de bière jeune au moût. Elle est apparue dans la région de San Francisco au milieu des années 1860, quand des immigrants d’origine allemande, Otto Schinkel et Ernst F. Baruth, ont commencé à vendre de la bière qu’ils brassaient eux-mêmes aux restaurants et bars locaux. Elle est née du désir de produire de la bière blonde sans recourir à la réfrigération. Cette méthode remonte à l’époque de la ruée vers l’or en Californie.
En 1896, ils fondent la société Anchor Brewing. Au départ, la steam beer n’était vendu qu’a la tireuse à bière. Après la fin de la prohibition, l’Anchor Brewing Company est le seul producteur de bière à brasser de la steam beer.
En 1965, Frederick Louis « Fritz » Maytag III rachète la brasserie, évitant sa fermeture et sauvant ainsi à la fois la brasserie et le style de bière produit. Depuis, l’Anchor Brewing Company a déposé le terme de « Steam Beer » et toutes les autres brasseries fabricant ce type de bière doivent utiliser l’appellation « California Common beer ». La sauvegarde de la fabrication de la team beer et de la Anchor Brewing Company par Fritz Maytag III, son exemple ayant inspiré de nombreux autres brasseurs, en fait l’un des pères des microbrasseries modernes aux États-Unis.
Les premières grandes brasseries
Communément appelée Yuengling (prononcé « ying-ling »), DG Yuengling & Son est la plus ancienne entreprise brassicole en activité aux États-Unis. Elle fut créée en 1829 par David Yuengling et basée à Pottsville, en Pennsylvanie, c’est aujourd’hui la plus grande brasserie des États-Unis.
L’une des premières brasseries à grande échelle fut la « Best Brewing » (rebaptisé plus tard « Pabst Brewing Company »), une brasserie de Milwaukee construite par un immigrant allemand du nom de Phillip Best dans les années 1840. La décennie suivante il a commencé à expédier sa bière à Chicago et à Saint-Louis. D’abord par ferry puis par train, faisant de bière la première marque du marché américain.
Devant ce succès, d’autres immigrants allemands de Milwaukee créèrent d’autres brasseries dans la ville : la « Valentin Blatz Brewing Company », la « Joseph Schlitz Brewing Company » et la « Miller Brewing Company ».
La « Weston Brewing Company » fut créée en 1842 par l’immigrant allemand John Georgian. Il apporta, avec lui, la tradition du brassage de bière blonde. La brasserie a été conçue pour utiliser la glace de la rivière pendant l’hiver et avec des caves de garde creusées profondément dans le sol pour créer des conditions idéales pour sa bière qui devait être stockée pendant plus de six semaines à moins de 15 degrés Celsius. La « Weston Brewing Company » est devenue l’une des premières brasseries de bière blonde aux États-Unis.
À Saint-Louis, un fabricant de savon allemand prospère, Eberhard Anheuser, acheta une brasserie en difficulté en 1860. Sa fille épousa un fournisseur de brasserie, Adolphus Busch, qui reprit l’entreprise après la mort de son beau-père et la renomma Anheuser- Busch. Adolphus Busch a rapidement fait le tour de l’Europe, découvrant le succès de la bière légère de Bohême, a introduit la bière Budweiser (du nom d’une bière brassée dans la ville de Budweis) aux États-Unis en 1876. Anheuser-Busch et sa bière Budweiser deviendront la plus grande marque de brasserie et de bière au monde. La société a innové avec l’utilisation wagons de train réfrigéré pour transporter ses bières, ce qui lui permet de faire de Budweiser en bouteille la première marque de bière nationale aux États-Unis.
En 1912, la « Joseph Schlitz Brewing Company » de Milwaukee, commence à utiliser des bouteilles brunes afin d’empêcher les rayons du soleil de nuire à la qualité et à la stabilité de la bière. Cette innovation devait être reprise dans le monde entier.
Une augmentation massive de l’immigration aux États-Unis en provenance d’Europe centrale et orientale a entraîné une augmentation de la consommation de bière entre 1880 et 1920, malgré une baisse globale de la consommation d’alcool par habitant.
La prohibition
Le 16 janvier 1919, un 18ᵉ amendement à la Constitution des États-Unis a été promulgué, instituant la prohibition de l’alcool, tant dans sa consommation que dans sa production, sa vente et son transport. Toutes brasseries américaines eurent l’interdiction de produire de la bière ou quelque conque dérivé alcoolisé. Leurs nombres avaient considérablement réduit les années précédentes du fait des campagnes menées par les ligues de tempérance.
Seules quelques brasseries, principalement les plus grandes, ont pu rester en activité en fabriquant des produits avec les ingrédients de la bière comme du sirop de malt ou d’autres produits céréaliers sans alcool ainsi que des boissons gazeuses comme les colas et les root beers (litt. « bière de racine » est une boisson gazeuse nord-américaine sucrée aux arômes de sassafras et salsepareille et autres extraits de plantes).
Durant cette période, la production et l’expédition d’alcool étaient en grande partie réalisées en contrebande et se concentrant essentiellement sur des alcools distillés comme le rhum, le whiskey… car moins volumineux que la bière.
Une des conséquences de la prohibition est qu’elle donna naissance à de nombreux sodas comme le Coca-cola et à de nombreux cocktails à base de jus fruits ou de soda servaient à masquer l’odeur d’alcool.
Le temps des Bootleggers
Les contrebandiers américains étaient surnommés « Bootlegger », qui signifie « l’homme qui cache une bouteille dans sa botte », car certaine flasque (petite bouteille plate) pouvaient alors avoir une forme légèrement courbe afin de s’insérer dans les bottes.
Ce terme apparu pendant la guerre de Sécession a été ré-utilisé durant la prohibition aux États-Unis et au Canada entre les années 1917 et 1935 pour designer un contrebandier d’alcool.
Les assouplissements de la prohibition
La prohibition américaine a été abrogée par degrés. En avril 1933, la loi Cullen-Harrison modifie la loi sur les alcools enivrants en décrétant que la bière titrant jusqu’à 3,2 % d’alcool n’était pas « enivrante » et donc pas interdite (Le « 3,2 % » auquel il est fait référence est une mesure en poids et équivaudrait à peu près à 4 % aujourd’hui).
Dans les 24 heures qui suivirent la légalisation de la bière, environ 1,5 million de barils de bière ont été vendus, soit 238 500 000 litres, ce qui amenés certains à prédire une « beer famine » (famine de la bière).
Peu de temps après, en décembre de la même année, le 21ᵉ amendement à la Constitution des États-Unis a abrogé l’interdiction en général, mais a laissé la production de boissons alcoolisées fortement réglementée par les autorités fédérales, des États et des comtés. Ces réglementations incluaient l’imposition d’un système de distribution à trois niveaux, dans lequel un fabricant de boissons alcoolisées devait passer par un grossiste pour vendre son produit, plutôt que de vendre directement aux détaillants.
Après prohibition, la guerre
Bien que le 21ᵉ amendement ait permis aux brasseurs de reprendre légalement la pratique de leur métier, de nombreux comtés et de nombreux États ne l’ont pas ratifié, ce qui a ralenti la résurgence de l’industrie brassicole. De plus, les nombreux prohibitionnistes du mouvement de tempérance étaient encore assez virulents et ont pu conserver un large public malgré l’abrogation du 18ᵉ amendement.
Avant que l’industrie américaine de la bière ne puisse se rétablir, la Seconde Guerre mondiale commença et le rationnement des céréales, en raison de la guerre, ralentit l’approvisionnement des brasseries les obligeant à utiliser en complément de l’orge, le maïs et le riz.
Dans l’effort de guerre, les prohibitionnistes ont vu une opportunité pour discréditer la reprise de production de bière en targuant que le brassage commercial gaspillait la main-d’œuvre, les céréales, le carburant et l’espace de chargement qui auraient dû être consacrés à l’effort de guerre.
Les brasseurs ont répliqué à ces accusations en vantant les bienfaits de la levure de bière sur la santé humaine, notamment leur forte teneur en vitamine B.
Il a été avancé que l’augmentation de la vitamine B1 dans l’alimentation des soldats et des ouvriers améliorerait les performances sur le champ de bataille comme à l’usine et que cette augmentation justifiait suffisamment le besoin de bière. Le gouvernement américain en a décidé que les avantages procurés par la vitamine B de la levure de bière, ainsi que les taxes provenant des ventes de bière, étaient suffisants pour justifier une demande de 15 % de la production de bière pour les militaires.
Bien que les brasseries américaines aient le soutien du gouvernement, elles devaient encore conquérir le cœur et le portefeuille du peuple américain. Pour ce faire, les grandes brasseries se sont regroupées et ont lancé la campagne publicitaire « Le moral, c’est beaucoup de petites choses ».
Depuis l’entrée en guerre de l’Amérique en 1941 jusqu’à sa fin en 1945, la production globale de bière a augmenté de plus de 40 % malgré le petit nombre de brasseries actives. Cette croissance en temps de guerre a permis aux grandes brasseries comme Anheuser-Busch de dominer le marché américain pendant plus de cinquante ans. Au cours de cette période, ils ont produit des bières plus réputées pour leur uniformité que pour une saveur particulière. Tel que les bières d’« Anheuser-Busch » et de « Coors Brewing Companya » était de type « Pils » produites avec des procédés industriels à grande échelle et l’utilisation d’ingrédients à faible coût comme le maïs ou le riz qui fournissaient de l’amidon pour la production d’alcool tout en apportant une saveur minimale au produit fini. La domination de la soi-disant « macro-brasserie » a conduit à un stéréotype international de la « bière américaine » comme étant de qualité et de saveur médiocres.
Émergence de petites brasseries
Dans les années 1970, la consolidation et la domination des principaux brasseurs du pays a conduit une forte reduction du nombre de brasseries. Malgré cela, cette période a vu également les débuts du mouvement actuel de la bière artisanale et des micro-brasseries aux États-Unis. En 1976, l’ingénieur optique et brasseur amateur Jack Mc Auliffe a fondé la « New Albion Brewing Company » dans le comté de Sonoma, en Californie, devenant ainsi la première microbrasserie du pays depuis la Prohibition.
Influencée par le récent redressement par Fritz Maytag de l’« Anchor Brewing Company » et du souvenir de la bière servit dans les pubs, lorsqu’il servit sur la base de Dunoon, en Écosse en 1964, où il fut impressionné par le goût des bières locales, il proposa des bières bouteille de type porter, stout et pale ale à un public plus habitué aux lagers légèrement aromatisées.
Bien qu’elle ne soit restée en activité que pendant sept ans, « New Albion » a suscité un intérêt pour la bière artisanale et a créé un précédent pour une génération de brasseurs artisanaux, dont Ken Grossman et les propriétaires de « Mendocino Brewing Company », la première brasserie artisanale du pays.
Le 14 octobre 1978, la loi HR 1337 a été promulguée, qui légalisait le brassage amateur, la production à domicile d’une petite quantité de bière ou de vin pour la consommation personnelle. Depuis lors, les États-Unis ont été témoins d’une résurgence de la culture brassicole et de la prolifération généralisée des micro-brasseries. En mars 1986, cinq brasseries avaient ouvert aux États-Unis. Le nombre total de brasseries est passé de 42 en 1978 à plus de 2 750 en 2012, atteignant ou dépassant le nombre de brasseries estimées avoir existé pendant la période coloniale. Cette croissance est imputable principalement aux micro-brasseries indépendantes.
National Beer Day
La Journée nationale de la bière est célébrée aux États-Unis chaque année le 7 avril, marquant le jour où la loi Cullen-Harrison, rétablissant la légalisation du brassage de la bière, est entrée en vigueur. Le 7 avril est un jour spécifique à la bière, tandis que le jour de l’abrogation lui est célébré le 5 décembre.
Lors de la ratification de la loi, Franklin Roosevelt a dit cette phrase devenue célèbre : « Je pense que ce serait le bon moment pour une bière ».
À l’annonce de la ratification du décret rétablissant le droit à la consommer de la bière, les Américains, à travers l’ensemble du pays, ont réagi en se rassemblant à l’extérieur des brasseries, la soirée précédente. Depuis le 6 avril, la veille de la Journée nationale de la bière, est connu sous le nom de New Beer’s Eve, sorte de Saint-Sylvestre précédant le jour du rétablissement du droit à la consommation de la bière et de son brassage.