Corned-Beef
Derrière le terme corned-beef qui signifie littéralement « viande de bœuf assaisonné de grains de sel » se cache une préparation culinaire se présentant sous deux formes, l’une traditionnelle et l’autre industrielle.
La forme traditionnelle
La forme traditionnelle du bœuf en saumure, bien que l’usage du salage des viandes pour leur conservation remonte à la plus haute antiquité, son origine exacte semble inconnue. On en trouve des mentions en Normandie dès le XIIᵉ siècle et semble avoir été consommé en Europe tant par le peuple que par la noblesse.
L’appellation corned-beef est apparue en anglais au milieu du XVIᵉ siècle et précède d’un siècle son synonyme « bully beef », issu de l’expression française bœuf bouilli.
Dès l’époque des « Grandes découvertes » (XVᵉ siècle – début du XVIIᵉ siècle), le bœuf salé fait partie des aliments embarqués à bord des vaisseaux, pour les voyages au long cours, et constitue une base alimentaire, qui était complétée sur place par de la viande boucanée (fumée).
Le boucanage est la technique de fumage de la viande utilisée par les Amérindiens, associant rôtissage et fumage. L’origine du mot boucanage est incertaine, soit d’origine caraïbe « barbacoa » ou « boucacoui » ou encore « boucaboui » pour les uns ou d’origine gauloise « bouk » pour les autres.
Le corned-beef ou bœuf salé est également utilisé par les armées et peut faire l’objet d’âpres négociations et de malversations. Les problèmes alimentaires liés à la qualité du bœuf salée bien que parfois recouvert en plus d’une « saumure antiscorbutique », composée d’alun, de gomme adragante et de garance, conduisent à une mortalité hors norme chez les soldats en raison d’une alimentation dépourvue de viande fraîche.
Augmentation de la production
Bien que la pratique de la salaison du bœuf ait été pratiquée dans de nombreuses cultures, la production à grande échelle de bœuf salé a commencé avec la révolution industrielle britannique (1770-1830). Le bœuf salé irlandais a été largement utilisé et échangé du XVIIᵉ siècle jusqu’au milieu du XIXᵉ siècle tant pour la consommation civile britannique que comme provisions pour la marine britannique ainsi que pour les armées nord-américaines durant la guerre de sécession en raison de sa nature non périssable. Le corned-beef anglo-saxon a également été échangé avec Français en échange de matière première venant de leurs colonies.
L’Irlande depuis l’époque médiévale a toujours produit du bœuf salé, c’est pour cela qu’elle a produit une quantité importante de bœuf salé pour le commerce atlantique à compter du XVIIᵉ siècle à partir de ses élevages de bovins et de sel importé de la péninsule ibérique et du sud-ouest de la France. Les villes côtières, telles que Dublin, Belfast et Cork, ont créé de vastes industries de salaison et d’emballage du bœuf. Bien que la production et le commerce du bœuf salé en tant que marchandise aient été une source de grande richesse pour les colonies britanniques et françaises, le produit était considéré avec dédain en raison de son association avec la pauvreté et la misère.
L’augmentation de la production de corned-beef pour satisfaire les populations croissantes des zones industrialisées de Grande-Bretagne et du commerce atlantique a aggravé les conditions vie des Irlandais et créé une grande famine.
C’est à la fin du XVIIIᵉ siècle, en raison de la nécessité d’alimenter correctement les soldats, que le mode de conservation des denrées va évoluer grâce à Nicolas Appert (qui invente la stérilisation par la chaleur en 1795) et va déboucher sur la production de corned-beef en boite métallique.
La forme industrielle
La forme industrielle du corned-beef arrive avec l’invention de Nicolas Appert et améliorée par diverses personnes dont Peter Durand qui fait breveter en 1810, en Angleterre, l’appertisation en boite de fer blanc. Brevet qui servi en 1812 à la création d’une fabrique de boîtes de conserve destinées à l’armée britannique.
Au fil des ans, le procédé de mise en boite ne cesse de se perfectionner. Vers 1850 c’est autre Durand qui présente ses produits au conseil d’hygiène de Lorient et une attestation d’un capitaine de vaisseau qui affirme qu’une boite de ses conserves, après trois années de voyage par bateau, offrait du bœuf parfaitement conservé.
À la même époque, Martin de Lignac parvient à expulser complètement l’air des boites et produit une viande mi-cuite, peu désagrégée, qui donne après cuisson en bouillon un « excellent bouilli ». Il invente aussi un système de conservation sous volume réduit : le bœuf frais, tranché en fines lanières, est partiellement desséché dans une étuve puis comprimé dans les boites de fer blanc, les vides étant remplis de bouillon chaud à demi concentré. Les boites soudées, placées dans l’autoclave, sont prêtes pour l’expédition à leur sortie de la machine. « En mai et juin 1855, un million de rations, de ces conserves, à 70 centimes, représentant chacune 300 g de viande fraiche, plus le bouillon interposé, ont été livrées à l’armée française d’Orient ».
La production se fait dans divers pays et les exportations deviennent courantes. Le bœuf en boite sert désormais dans l’armée et la marine de toutes les grandes nations de l’époque, même s’il est peu apprécié des soldats : « ces viandes gélatineuses, cuites dans leur jus, ne sauraient remplacer ni la viande fraiche bouillie, ni surtout la viande rôtie » mais il constitue une alternative efficace, car le bétail sur pied, difficile à nourrir en déplacement, supporte difficilement les longs transports, perd poids et qualité, et arrive parfois malade.
Dès lors, le corned-beef va constituer un créneau commercial important pour les grands industriels de la viande établis principalement aux Amériques (nord et sud). Notamment à Chicago avec la « McNeill & Libby » qui lance en 1875 une forme de boite trapézoïdale qui fait la popularité de son corned-beef auprès du public et subsiste jusqu’au XXIᵉ siècle ou encore la « Morris & Co » fournisseur de l’armée de l’Union durant la guerre de Sécession. Le corned-beef est également produit en 1873 en Uruguay par la « Liebig Extract of Meat Company » qui produisait déjà de l’extrait de viande depuis 10 ans et le commercialise sous la marque « Fray Bentos », du nom du port où elle est implantée.
Vers 1890, le corned-beef venant de Chicago via la France métropolitaine, constitue une denrée d’échange dans les colonies françaises d’Afrique pour l’obtention du cola qui sert, à l’époque, à la fabrication du Coca-Cola.
Boite de singe
Issu du jargon militaire français, « le singe » désigne dans les pays francophones une boite de bœuf assaisonné ou corned-beef. Le surnom serait né au XIXᵉ siècle, lorsque des soldats français aurait désigné la boite de corned-beef du nom qu’il donnait auparavant à la viande de singe boucanée qu’il mangeait auparavant, ou viendrait du nom de l’ouvre-boite faisant partie du paquetage réglementaire en 1916-1918 portait la marque « Le singe ». Ou encore des soldats français remarquant qu’une des marques de corned-beef fourni par l’armée française était de Madagascar, ile peu connu pour ses élevages de bovin en aurait conclu par facétie que c’était du singe.
Dans son livre « À travers l’Afrique » (Fayard, Paris, 1910) le lieutenant Baratier écrit que ce singe fut utilisé dans l’armée du général Louis Archinard :
« Pendant six mois, nous allions toucher journellement 300 gr de ce conglomérat de viande rougeâtre coupé de filaments graisseux. À cette époque, nous pouvions encore avoir l’illusion que le corned-beef était du bœuf ! Depuis le fameux procès intenté à l’usine américaine, je me suis souvent demandé de quoi nous avions vécu et pour quelle proportion, dans ces 54 kg, tous ceux qui se trouvaient à la colonne avaient droit au titre d’anthropophages sans le savoir ! ».
Dès cette époque, le doute et la suspicion s’installe autour la composition du corned-beef et du peu de scrupule des fabricants pour aboutir à un des premiers scandales sanitaires mondiaux.
Scandales sanitaires
Avec l’industrialisation du corned-beef en boite, les problèmes alimentaires liés à la médiocrité des produits réapparaissent, liés aux malversations du fait l’opacité de la fabrication du produit permet toutes les tricheries et souvent la composition ne correspond pas forcément à l’annonce du contenu…
En 1898 déjà, la qualité de la viande en boite a été fortement contestée au sein de l’armée américaine lors de la guerre hispano-américaine.
Une commission d’enquête est ouverte dans ce qu’on appela le « scandale de la viande bovine dans l’armée des États-Unis ». Le général Nelson Miles y témoigne que les boites de corned-beef était de mauvaise qualité et que ses officiers en ont fourni de nombreuses descriptions : un colonel a affirmé que la viande s’est rapidement putréfiée et que de nombreuses boîtes contenaient du bœuf en putréfaction, un major d’infanterie a déclaré que l’apparence du produit était ignoble et que son utilisation a donné diarrhée et dysenterie, un autre officier a noté que les conserves étaient nauséabondes, impropres à la consommation et n’auraient pas dû être livrées.
Dans des déclarations publiques rapportées par la presse, Miles assure que la viande en conserve n’était que le résidu de la fabrication d’extrait de viande (en l’occurrence la pulpe restante de l’extrait de bœuf, sans valeur nutritive), mis en boîte sous l’étiquette « rôti de bœuf ».
En 1904, le journaliste Upton Sinclair enquête pendant sept semaines, en vivant parmi les ouvriers, sur les conditions de travail dans les abattoirs de Chicago. La Jungle, le livre qu’il en tire, sort le 28 février 1906 et fait l’effet d’une bombe : il y dénonce non seulement des conditions de vie et de travail atroces, les magouilles électorales, la corruption, le pouvoir des trusts, mais y expose aussi, en long en large et en détail, les procédés de fabrication du corned-beef, des saucisses, du saindoux, etc. Les Américains et le monde découvrent l’horreur. Les produits manufacturés contiennent de tout, jusqu’aux déchets de fabrication, aux rats, jusqu’à de la viande de bœufs tuberculeux et à celle des ouvriers tombés dans les cuves géantes de préparation des produits ! Le scandale est tel que l’écrivain est reçu par le président Théodore Roosevelt et que le « Pure Food and Drug Act », constituant un premier pas pour la protection des consommateurs, est voté le 30 juin de l’année même de la publication de l’œuvre.
La seconde guerre mondiale
Le corned-beef a joué un rôle non négligeable dans la Seconde Guerre mondiale. Il a fait partie de la ration K (ration de nourriture individuelle de combat des soldats US), qui malgré les problèmes nutritionnels qu’elle a posés à ceux qui la consommaient trop longtemps, a largement résolu le problème du ravitaillement en campagne. Il a fait partie de l’aide économique fournie par les Anglo-Saxons à l’URSS dès 1941. Par sa distribution aux populations, là où les soldats américains arrivaient (que ce soit dans des parties du monde indirectement touchées par le conflit né en Europe ou lors de la libération des populations européennes qui avaient souffert de la faim), il a promu une image positive des Américains et de leur mode de vie, et a modifié celui de nombreuses populations. En août 1944, pour la libération de Paris, la ville de Buenos Aires offre à chaque habitant de la capitale une boite de corned-beef.
Connotation négative
L’usage répétitif du corned-beef par les soldats en campagne, sa fourniture au titre de l’aide de guerre pour le ravitaillement des Français durant la seconde guerre mondiale, sa fourniture auprès des populations vulnérables, sa fabrication industrielle et bon marché ainsi que les nombreux soupçons sur sa fabrication ont produit une image négative. Malgré cela, le corned-beef en boite a joué un rôle important à travers le monde dans l’alimentation des soldats, des prisonniers et des civils.
Spam
La société Hormel Inc. fondée par George A. Hormel est spécialisée dans la production de masse de viande précuite en conserve. Elle commercialise en 1926 le premier jambon en boîte au monde dénommé « Hormel Flavor-Sealed Ham ». En 1937, son fils Jay Catherwood Hormel, afin d’utiliser des épaules de porc dont la vente n’était très populaire, invente la première viande en boîte ne nécessitant aucune réfrigération, le « Hormel Spiced Ham », une préparation faite d’épaule de porc et de jambon hachés. Selon la légende, c’est en 1937, lors d’un concours, que le nom de SPAM fut créé. Il s’agirait de la contraction de « SPiced hAM » (jambon épicé en anglais).
Le produit sera présenté comme « la viande miracle », toujours disponible et facile à utiliser.
C’est pendant la Seconde Guerre mondiale qu’il deviendra réellement populaire, car la difficulté à livrer de la viande fraîche au front a vu le spam devenir omniprésent dans l’alimentation du soldat américain. Non seulement parce qu’il est facile à transporter et à entreposer, mais aussi parce que le porc n’est pas rationné, contrairement au bœuf. Durant cette guerre l’armée américaine acheta 68 000 tonnes de SPAM. C’est ainsi, à travers l’armée américaine, que le SPAM sera introduit et parfois intégré dans l’alimentation traditionnelle comme dans les iles du pacifique : Guam, Hawaï, Okinawa, Philippines, Okinawa, à tel point que certaines chaînes de fast-food l’ontinclus dans leurs menus. À Hawaï, il compose un des plats les plus populaires : le « Spam musubi », un sushi de Spam sauté enroulé d’une feuille de nori composé à base d’algue.
Toujours durant cette période, le SPAM exporté en Chine, en Corée et en URSS dans le cadre du programme de l’aide allié. Dans ses mémoires, Nikita Khrouchtchev a déclaré : « Sans le spam, nous n’aurions pas pu nourrir notre armée ».
Il en fut de même au Royaume-Uni où il fut consommé en masse et intégré aux habitudes alimentaires du pays. Le Premier ministre britannique Margaret Thatcher l’a plus tard qualifié de « délicatesse de guerre ».
Après la Seconde Guerre mondiale, le SPAM fut produit sous licence au Royaume-Uni à Liverpool, et ce, jusqu’à 1998. Ce qui explique que le SPAM rentre dans la composition de nombreuses recettes britanniques comme « Spam Yorkshire Breakfast », le « Spamish Omelette », le « Spam Hash »…
Ce qui inspira les Monty Python dans un sketch devenu culte dénommé SPAM diffusé pour la première fois le 15 décembre 1970. Le sketch est particulièrement connu pour avoir donné son nom au « spam » ou pourriel, les courriers électroniques indésirables ou non sollicité à but généralement publicitaire.
Le sketch des Monty Python
Le sketch se déroule dans un restaurant de qualité médiocre. M. Bun (Eric Idle) et Mrs. Bun (Graham Chapman) désirent y déjeuner, mais la serveuse (Terry Jones) ne leur propose que des plats à base de Spam, une marque de viande en conserve que déteste Mrs. Bun. Les plats proposés contiennent de plus en plus de Spam (« Spam, Spam, Spam, Spam, Spam, Spam, baked beans, Spam, Spam, Spam and Spam »), et Mrs. Bun devient hystérique malgré les tentatives de son mari pour la calmer, hurlant « I don’t like spam ! ». L’absurdité du sketch est accrue par la présence à une autre table d’un groupe de Vikings qui interrompent régulièrement la conversation en chantant bruyamment « Spam, Spam, Spam, Spam, lovely Spam, wonderful Spam ».
John Cleese fait une brève apparition dans un rôle de Hongrois parlant un anglais incompréhensible, en référence à un autre sketch diffusé dans le même épisode. Le décor change ensuite et Michael Palin, déguisé en historien, relate l’histoire de la victoire remportée par les Vikings au « Green Midget Café, à Bromley », mais son discours est à son tour infesté de spam, et la scène revient au café et aux Vikings qui entonnent en chœur leur chanson. Les crédits de l’épisode défilent ensuite, et les noms des acteurs et du personnel subissent le même traitement (« Spam Terry Jones », « Michael Spam Palin », « John Spam John Spam John Spam Cleese », etc.).