Plus qu’un royaume, un pays de fantaisie
La Patagonie, également appelée « Le Grand Sud », désigne la partie méridionale de l’Amérique du Sud, comprenant principalement le sud de l’Argentine et le sud du Chili, pour une superficie d’environ 1 000 000 km². Traversé par la cordillère des Andes, elle abrite des paysages contrastés de montagnes, de glaciers, de pampa, de forêts subpolaires, de littoraux, d’îles et d’archipels. Avec une densité de population de 3,8 habitants par km², la Patagonie est une des régions les moins peuplées au monde. Ses terres sont exploitées pour l’élevage de bétail et convoitées pour leurs ressources naturelles importantes.
Elle est habitée depuis plus de dix mille ans par des populations aborigènes (peuples précolombiens) tels que les Mapuches et ont été décrites pour la première fois par un compagnon de voyage de Fernand de Magellan, l’Italien Antonio Pigafetta dans son récit publié en 1525.
La terre des géants
L’étymologie du mot « Patagonie » a fait l’objet de nombreuses recherches et controverses. Le seul témoignage provient d’Antonio Pigafetta, un des 18 survivants de l’expédition de Magellan autour du monde. Au début de l’année 1520, il y décrit la rencontre avec un « géant » qui « était tant grand que le plus grand de nous ne lui venait qu’à la ceinture » et précise plus loin « le capitaine appela cette manière de gens Pataghoni ».
Et comme il ne donne pas l’origine de ce mot, des interprétations se sont développées autour de l’idée de « grands pieds » d’où la « Terre des Grands Pieds » construite avec Pata (pied en espagnol), ou aussi dans des interprétations plus péjoratives, les Amérindiens vus comme des incultes et des rustres, avec patán en espagnol, patão en portugais et « pataud » en français.
L’hypothèse aujourd’hui généralement retenue fait venir le mot « patagon » du personnage fantastique appelé « Patagón », une créature sauvage qu’affronte Primaleón en Grèce dans un roman de chevalerie publié en 1512 par Francisco Vázquez. Cette littérature très en vogue à l’époque était sans doute connue de Magellan et de Pigafetta.
Les cartes marines du Nouveau Monde ajoutaient parfois la légende regio gigantum (« région des géants » en latin) pour la région de Patagonie.
Cette croyance en une terre peuplée de géants (jusqu’à 3 m de hauteur) était entretenue entre autres par les dires du corsaire anglais Francis Drake (1540 – 1596) et fut ravivée en 1767 par la publication d’un récit de voyage du commandant John Byron.
En 1773, l’écrivain John Hawkesworth publia pour le compte de l’amirauté britannique un abrégé des descriptions de l’hémisphère sud dans les journaux de bord des explorateurs. Il y estime que l’expédition de Byron avait rencontré des Amérindiens pas plus grands que 2 m, certes plus grands que la moyenne européenne de l’époque, mais en aucun cas des « géants ».
En 1840, des illustrations caricaturales de Patagons près du détroit de Magellan, de l’explorateur français Jules Dumont d’Urville confirmaient encore les observations initiales de Pigafetta, mais le mythe des Géants Patagons devait toutefois s’estomper.
L’histoire de la Patagonie jusqu’au XIXᵉ siècle
Depuis le XVIᵉ siècle, l’histoire de la Patagonie est intimement liée à l’histoire générale de l’Argentine et à celle du Chili.
Début de la colonisation, de l’évangélisation et des explorations
En 1535, les conquistadores espagnols tentent de conquérir le territoire de la vallée du Chili en combattant les Incas. Le conquistador espagnol Pedro de Valdivia en 1536 fonde une série de villages dont « Santiago del Nuevo Extremo », (l’actuelle capitale du Chili). Il poursuit sa campagne militaire contre les Amérindiens Mapuches. Ainsi commence un long conflit qui se nomme la guerre d’Arauco. Pedro de Valdivia meurt en 1553 à la suite d’une insurrection des Mapuches. Le 23 février 1554, les troupes du célèbre chef Mapuches Lautaro battent l’armée espagnole lors de la bataille de Marihueñu. Les Mapuches poussent leur avantage en détruisant la ville de Concepcion, et la plupart des positions espagnoles d’Araucanie. Les principales invasions des Amérindiens du sud du Chili interviennent de 1598 à 1655 et les affrontements vont durer jusqu’au XIXᵉ siècle.
Dans la seconde moitié du XVIIᵉ siècle, la région est parcourue par des missionnaires catholiques, en particulier des membres de la Compagnie de Jésus (jésuites), venus évangéliser les Amérindiens et fondent des missions.
Du XVIᵉ au XIXᵉ siècle, la Patagonie vit passer des navigateurs et explorateurs célèbres dont : Francis Drake, Thomas Cavendish, John Davis, découvreur des Malouines, John Byron, Louis Antoine de Bougainville, James Cook, Jean-François de La Pérouse…
La guerre d’Arauco
La guerre d’Arauco est un long conflit entre les colons espagnols et le peuple Mapuche de la région d’Araucanie au Chili dont il est difficile de dater la fin du conflit. Après 1609, chaque gouverneur du Chili a engagé des discussions avec les chefs Mapuches pour maintenir la paix entre les parties, mais les violations des différents traités étaient fréquentes. Plus tard, la république chilienne a hérité de ce conflit larvé jusqu’à la fin de la résistance mapuche qui s’est effondrée avec l’occupation de l’Araucanie (1861-1883). Elle est considérée comme l’une des guerres les plus longues de l’histoire (1536 – 1810).
Le royaume d’Auraucanie et de Patagonie
Delà commence une histoire parallèle, parfois appelé Royaume de Nouvelle-France, le royaume d’Auraucanie et de Patagonie est un royaume éphémère fondé en Araucanie et Patagonie (territoires du Chili et de l’Argentine depuis 1902) par deux ordonnances du 17 novembre 1860 et du 20 novembre 1860 signées sous le nom Orélie-Antoine Ier par un Français, Antoine de Tounens (1825-1878), ancien avoué à Périgueux, proclamé ou autoproclamé roi lors d’assemblées de Mapuches du 25 au 30 décembre 1860.
En janvier 1862, Antoine de Tounens est arrêté par les autorités chiliennes, jugé fou par la cour suprême de Santiago et expulsé vers la France, non sans avoir promis au Mapuches des livraisons d’armes.
Craintes d’une intervention française
Un aviso français, le D’Entrecasteaux, a jeté l’ancre en 1870 dans le port maritime de la ville de Corral au Chili (Aurocanie historique), et a attiré des soupçons de Cornelio Saavedra Rodríguez sur une forme éventuelle d’ingérence française. La presse chilienne s’empare de l’affaire en considérant que les actions d’Antoine de Tounens pouvaient servir de précédent à une intervention en Amérique du Sud de Napoléon III, semblable à celle menée au Mexique (8 décembre 1861 – 21 juin 1867) en soutien à Maximilien de Habsbourg.
Selon certaines informations, une cargaison d’armes commandée par Orélie-Antoine de Tounens aurait été saisie par les autorités argentines à Buenos Aires en 1871. Il est possible que ces craintes aient été fondées puisqu’en 1870 des informations ont été données au député chilien Abdón Cifuentes sur une intervention française en faveur du Royaume d’Araucanie et de Patagonie et discutées au Conseil d’État de Napoléon III.
Un royaume de fantaisie
Cinq ans avant la mort d’Antoine de Tounens, à la suite d’une plainte de sa part envers le journal « Le Droit » pour diffamation, le tribunal correctionnel de Paris avait jugé le 27 août 1873 qu’Antoine de Tounens ne justifiait pas de sa qualité de souverain.
Après des années de luttes et trois tentatives de retour en Araucanie afin de reconquérir son royaume, il meurt le 17 septembre 1878 dans la misère, célibataire et sans enfants, à Tourtoirac en Dordogne.
En 1882, trois ans et demi après la mort d’Antoine de Tounens, Achille Laviarde (1841-1902), son ancien secrétaire, fait état d’un testament cryptographique d’Antoine de Tounens en sa faveur, et dont le texte est publié en 1888, par lequel Antoine de Tounens l’a désigné comme son héritier et successeur au trône d’Araucanie et de Patagonie. Achille Laviarde fait signer le 26 mars 1882 un acte de renonciation à l’héritier naturel, Adrien de Tounens, boucher à Tourtoirac. Achille Laviarde se déclare en mars 1882 successeur d’Antoine de Tounens sous le nom d’Achille Ier, roi d’Araucanie et de Patagonie.
Depuis la succession revendiquée en mars 1882 par Achille Laviarde, qualifié parfois de « souverain de fantaisie », différents français se sont succédé comme prétendants au trône du Royaume d’Araucanie et de Patagonie, micronation sans existence officielle, parfois qualifié de « royaume imaginaire » ou de « royaume d’opérette ».
Les prétendants au trône d’Araucanie et de Patagonie
Après Antoine de Tounens sont :
- Achille Laviarde (1841-1902), sous le nom d’Achille 1er, du 26 mars 1882 à 1902 ;
- Antoine-Hippolyte Cros (1833-1903), sous le nom d’Antoine II (en espagnol : Antonio II), de 1902 à 1903 ;
- Laure-Thérèse Cros, épouse Bernard (1856-1916), sous le nom de Laure-Thérèse Ire (en espagnol : Laura Teresa I), de 1903 à 1916 ;
- Jacques-Antoine Bernard (1880-1952), sous le nom d’Antoine III (en espagnol : Antonio III), de 1916 à 1951 ;
- Philippe Boiry (1927-2014), sous le nom de Philippe Ier (en espagnol : Felipe Ier ), de 1951 à 2014 ;
- Jean-Michel Parasiliti di Para (1942-2017), sous le nom d’Antoine IV (en espagnol : Antonio IV), de 2014 à 2018 ;
- Après la mort d’AntoineVI, le « Conseil de régence » d’Araucanie-Patagonie élit l’héraldiste français Frédéric Luz comme prince d’Araucanie. L’élection a eu lieu le 24 mars 2018 à Paris. Quinze conseillers, dont quatre Mapuche, ont participé aux élections. Malgré cela, un conflit survient alors quant à la succession, qui oppose : Frédéric Luz (1964), sous le nom de Frédéric Ier (en espagnol : Federico Ier) à Stanislas 1er (Stanislas Parvulesco), prétendant depuis 2014, auquel s’ajoute en 2018 « François de La Garde » (pseudonyme). Chacun se considérant comme le roi légitime.
Décorations du royaume d’Araucanie
Antoine de Tounens crée, lors de son second voyage, puis à son retour en France, les ordres de chevalerie de la Couronne d’acier (1869) et de l’Étoile du Sud (1872), ainsi que la médaille d’une association libre, la Société royale de la Constellation du Sud (1875). Selon certaines sources, il n’en tire aucun revenu et d’autres les négocieront à sa place, selon d’autres sources, il proposera contre finances de devenir grands-croix, grands officiers, commandeurs, officiers ou chevaliers de l’ordre de la Couronne d’acier.
Ils sont qualifiés par la Chambre des députés d’ordres de fantaisie et par l’association nationale des membres de l’ordre national du Mérite d’ordres illégitimes.
Ordre royal de la Couronne d’acier
L’ordre royal de la Couronne d’acier, créé par Antoine de Tounens en décembre 1869, comprend les grades de grands-croix, grands officiers, commandeurs, officiers ou chevaliers qu’il propose aux amateurs contre finances.
Ordre royal noble de l’Étoile du Sud
L’ordre royal noble de l’Étoile du Sud créé par Antoine de Tounens le 24 juin 1872 comprend les grades de grands-croix, grands officiers et officiers. Les titulaires jouissent notamment à la cour du royaume d’Araucanie et Patagonie « du titre de patriciens de la Nouvelle France » et de « l’assimilation aux grades d’officiers supérieurs de l’armée ».
Société royale de la Constellation du Sud
La société royale de la constellation du sud est fondée par Antoine de Tounens le 8 septembre 1875. Il s’agit d’une association libre sous la protection et à la gloire de Dieu et sous le haut patronage perpétuel du roi d’Araucanie et de Patagonie. Son but premier est « d’introduire parmi les Mapuches de l’extrême sud du continent américain le christianisme, les sciences, les arts et métiers, le commerce, l’agriculture et tous les éléments de la civilisation ». Le signe distinctif de ses membres est « une médaille formée par une croix de forme grecque cantonnée par les étoiles de la constellation du Sud […] le tout surmonté par la couronne royale ». Modifiée avec des nouveaux statuts par Achille Laviarde en Ordre des Décorés et des Médaillés de la Constellation du Sud qui le distribue moyennant finance, l’ordre prend ensuite le nom de Société des Médaillés de la Constellation du Sud et continue sous le nom d’Ordre royal de la Constellation du Sud jusqu’en 1958.
Dominique Auzias et Jean-Paul Labourdette citent dans leur ouvrage Patagonie : « Ses trois premiers présidents sont Antoine de Tounens, puis Achille Laviarde et enfin Antoine-Hippolyte Cros, les « rois de Patagonie et d’Araucanie ». Viennent ensuite Georges Sénéchal de la Grange, Gaston Dugniolles de Montnoir (1904-1907), Alphonse O’Kelly de Galway, (archiviste, mort en 1916), de Gaugler (mort en 1917), Louis Druel (mort en 1933), Isidore-Louis Dulong (jusqu’en 1945), puis Louis-François Girardot. Cette société incarne la continuité des institutions en se consacrant au souvenir et à la philanthropie ; elle est encore active au lendemain de la Seconde Guerre mondiale ».
À la disparition de Louis-François Girardot, Philippe Boiry change son nom en Légion des Médaillés de la Constellation du Sud.
Auspice Stella
Au-delà du royaume, l’association « Auspice Stella – Souvenir franco-araucanien », dont le siège se trouve à Tourtoirac en Dordogne, célèbre le souvenir d’Antoine de Tounens et participe à la défense des droits des Mapuches à l’ONU.
Créée le 30 septembre 1965 à Paris, son siège social est transféré à La Mairie 24 390 Tourtoirac, sous le nom « Auspice Stella – Souvenir franco-araucanien », par déclaration du 18 juin 2015 à la préfecture de la Dordogne. Toujours selon la même déclaration, son objet est de : « Soutenir les efforts du peuple Mapuche dans sa lutte pour son autonomie et son autodétermination et de garder vivante la mémoire du royaume d’Araucanie et de Patagonie et de son fondateur Oréllie-Antoine ».
Depuis le 1er août 2013, l’association Auspice Stella a obtenu le statut consultatif spécial accordé par le Conseil économique et social des Nations unies aux organisations non gouvernementales. Depuis, Auspice Stella intervient régulièrement pour défendre la cause des Mapuches auprès du Conseil des droits de l’homme à l’ONU.
L’ONG Auspice Stella procède à du lobbying et aide matériellement les Mapuches pour qu’il soit mis fin à la répression violente dont ils font l’objet.