le Natron, du bicarbonate au naturel

On appelle natron une roche évaporitique (évaporite) contenant essentiellement du carbonate de sodium (Na2CO3) et du bicarbonate de sodium (NaHCO3) rencontré sous sa forme naturelle, la nahcolite. Cette roche évaporitique a la singulière propriété, en présence d’eau ou d’humidité, de développer à sa surface le minéral natron : le carbonate de sodium déca-hydraté (Na2CO3 • 10 H2O) qui est souvent accompagné d’autres dépôts carbonatés et hydrogéno-carbonatés alcalins à base de trona.

Le mot natron est dérivé de l’espagnol « natron » via le latin « natrium » et le grec « nitrone » (νίτρον) qui dérive à son tour de l’arabe « natrūn » qui découle de l’égyptien ancien mot qui signifie « nṯry » (nitry ou netjery) qui signifie : devenir divin.

Dans les anciens traités médicaux en latin, le mot « nitrum » ne doit pas être traduit par « nitre » autrement dit le salpêtre (le nitrate de potassium) mais par natron.

Le natron à l’état naturel, dénommé autrefois alcali minéral ou simplement « Soda » en anglais et en allemand, se présente sous la forme d’une substance blanche, évanescente, qu’on trouve au bord de certains lacs, notamment africains. Natron désigne aussi en Égypte Wadi El Natroun lieu où les anciens égyptiens extrayaient le natron.

Le symbole chimique du sodium, Na, est une abréviation de natrium, le natron.

Le trona est à une combinaison naturelle de carbonate de sodium, de bicarbonate de sodium et d’eau dont la formule chimique est : Na2(CO3) • NaH(CO3) • 2 H2O. Le trona est minéral des milieux alcalins, est presque toujours associé au natron, il sert à la fabrication de la soude ou carbonate de sodium.

Il est traditionnellement utilisé comme matériaux de construction en Afrique et particulièrement en Égypte et au Soudan où il est également employé en médecine, en cosmétique, pour le nettoyage (détergent) et en teinture, pour la fabrication de tabac, pour les soins des animaux.

Le mot « trona » à une étymologie proche de celle du natron, et viendrait du suédois ou en espagnol, les deux origines sont possibles, mais les deux dérivent de l’arabe « trōn » qui à son tour dérive comme le mot natron de l’arabe « natrūn » et de l’hébreu « natruna », qui vient du grec ancien « nitrone », dérivé finalement de l’ancien égyptien « nṯry » (nitry ou netjery) qui signifie : devenir divin.

Le natron des Égyptiens

Le natron était déjà connu des Égyptiens de l’Antiquité depuis plusieurs millénaires qui l’appelaient neter, de l’ancien égyptien nṯr(ĵ), terme qui rappelle qu’ils l’extrayaient d’un lac asséché dans le désert de Nitrie (netjer ? dieu, divinité, roi) proche d’Alexandrie, contrairement à la vallée du Natron beaucoup plus éloignée de 80 km au sud-est.

Les différents composants du natron étant mal connu, ils en distinguaient diverses variétés :

  • Le minéral pur natron, véritable fleur alcaline cueillie au lever du soleil, et sans doute réservée aux rois, nobles princes et pharaons, pour les rites sacralisant de momification.
  • La roche natron plus ou moins impure, le plus souvent à faible teneur en natron ou thermonatrite (déshydratation thermique du natron), à forte teneur en trona ou en nahcolite (bicarbonate de sodium). C’est toutefois la thermonatrite qui engendre en présence d’eau le minéral natron le plus efficacement.
  • Des mélanges artificiels divers plus ou moins sec, contenant parfois du natron et (ou) du trona, mais surtout avec du nahcolite et du sel, pour des usages spécifiques. Il apparaît aussi dans les régions arides africaines des efflorescences également qualifiées de natron.

L’emploi généralisé du terme « neter » ou de ses déclinaisons et variantes anciennes, dès cette époque, s’applique à toute apparition saline ou évaporitique, souvent blanche, compacte, crevassée ou filamenteuse, sur n’importe quelle surface ou paroi humide ou humidifiée. Ceci expliquerait l’évolution de sens qui finit par désigner la classe des alcalis ou corps alcalins naturels étendue à celle des nitrates, et finalement le nitre ou salpêtre.

La connaissance qu’ils développèrent en observant la similitude de matière entre le natron purifié, chauffé et asséché en vase clos, et la partie soluble dans l’eau des cendres de végétaux de chénopodiacées calcinés poussant sur des terres salifères. Il s’agit de la soude, le premier alcali minéral connu. Par la suite, ils en accrurent le pouvoir alcalin en la chauffant avec de la chaux pour obtenir de la soude caustique (NaOH).

Les usages du natron

Dans l’ancienne Égypte, le natron était utilisé dans différents domaines d’application :

  • Comme pour les soins mortuaires, pour la momification des personnalités, où les embaumeurs l’utilisait pour déshydrater le corps et principal agent de conservation. Les textes des pyramides décrivent aussi comment le natron a été utilisé lors de rites funéraires sous forme de boules données comme offrandes.
  • Pour la propreté et les soins du corps, à faible dose sèche, en particulier les dents, les bains de bouches et surtout en association avec de l’huile odorante pour la toilette. Les produits étaient confectionnés sous forme de pâte constituée de natron, de cendres et d’argile ou sous forme d’onguent qu’il obtenait en le faisant cuire avec des huiles ou/et des graisses.
  • En tant que produit ménager sous forme de détergent à base d’eau, pour nettoyer les espaces salubres et le blanchiment du linge.
  • D’agent de conservation alimentaire (poissons, viandes), à dose sèche mesurée, probablement associé avec du sel.
  • D’agent (desséchant, agrégeant ou durcisseur) dans la préparation des cuirs et la confection textile.
  • Comme produit de désinfection (insecticide, bactéricide) et antiseptique médical pour blessures légères (« papyrus Eber » conservé au musée de Leipzig).
  • D’agent de nettoyage, d’abrasion ou de collecte de métaux nobles, composant de flux de brasage en métallurgie pour souder ensemble des métaux précieux.
  • D’ingrédients dans les huiles d’éclairage brûlant sans fumée (lampes à huile de ricin).

En y ajoutant du sable, l’on pouvait également fabriquer du verre. Les Égyptiens découvrirent que pour produire un verre incolore et transparent, il faut employer un sable spécifiquement blanc, du natron pur et une chaux bien blanche. Ils découvrirent par ailleurs qu’en ajoutant certains ingrédients au mélange natron et sable (par exemple de la chaux), on obtenait des verres diversement colorés.

Et comme ingrédient de couleur tel quel constituant le bleu égyptien des céramiques.

Le bleu égyptien

Il était obtenu à partir de « verre » fondu avec du minerai de cuivre, puis le verre obtenu était pillé en fine poudre. Il est considéré comme le premier pigment synthétique. Les cristaux obtenus, d’une taille allant de 0.5 à 2 mm au plus, ont la particularité d’être biréfringents : c’est-à-dire d’avoir un effet de double réfraction par laquelle un rayon lumineux pénétrant dans le cristal est divisé en deux.

La teinte obtenue varie selon la température de fonte et surtout selon les impuretés qui affectent les minéraux utilisés dans la préparation. La teinte obtenue était plus claire que le bleu obtenu à partir du minerai d’azurite égyptien et plus résistant à la lumière que le lapis-lazuli importé.

Vitruve mentionne bleu égyptien sous le nom de cæruleum, mais aussi de « bleu d’Alexandrie », « bleu vestorien », « bleu de Pouzzoles ». La recette de sa fabrication se perd vers le IVe siècle.

Il servait pour peindre les ciels et autres parties bleues. Au IIe siècle, les artistes des portraits du Fayoum l’utilisèrent sous les couleurs principales, pour les moduler et accentuer les contours. Cette technique découverte en 2015 en étudiant des portraits a surpris les experts modernes. Le brillant du pigment a pu contribuer à la préférence des artistes pour ce pigment, plutôt que les oxydes de fer et terre d’ombre plus fréquemment utilisés pour cet usage.

L’exploitation d’hier et d’aujourd’hui

La roche natron a depuis la plus haute antiquité été exploitée, après les Égyptiens, les Romains l’utilisèrent dans leur processus de fabrication du verre et dans la céramique jusqu’au moins 640 ap JC. Ce sont les verriers et les céramistes qui le qualifient par le terme générique « d’alcali ». Il s’agissait le plus souvent de la roche impure, le plus souvent à base de trona et de nahcolite, transporté par des navires. Le natron est un « alcali minéral » des alchimistes.

Tout comme en Égypte, il est aussi à Rome en médecine et dans les produits de nettoyage et d’hygiène.

À l’époque ptolémaïque, le natron était devenu un monopole royal et plus tardivement, sous la domination arabe, elle représentait toujours une source de revenus énormes.

Indispensable aux industries du verre, du savon, des textiles et du papier, jusqu’à la fin du XVIIIe voir le début du XIXe siècle, le carbonate de sodium, provenait de cendres de plantes aquatiques type algues ou terrestres type chénopodiacées, dénommées soudes, par exemple la salicorne ou du chauffage du natron dans les pays désertiques lointains.

Il faut attendre 1780 qu’un chimiste français invente un procédé qui permette d’obtenir du carbonate de sodium à partir de sel marin, d’acide sulfurique, de charbon de bois, de calcaire.

Puis fut supplanté vers 1870 par le procédé découvert par le chimiste belge Ernest Solvay. Le procédé Solvay dit à l’ammoniac, exigeait moins d’énergie de chauffage que le procédé Leblanc, il est le résultat de l’observation attentive des pratiques anciennes.

La conquête du Sahara par les Français au XIXe siècle permit aux occidentaux de redécouvrir le natron et ses sites d’exploitation : notamment les natronières du territoire du Fezzan (sud libyen) et du Soudan français (mali) ou encore du lac Tchad. Ils y constatent une activité de récolte traditionnelle, maintenue en raison de son faible coût d’exploitation, et fondée une industrie de traitement, de purification et de dessiccation de carbonates, qui livre du natron commercial, en réalité du carbonate de sodium plus ou moins pur ou sec. À cette extraction traditionnelle, se superpose progressivement une exploitation plus moderne avec une industrie chimique sophistiquée, conséquence de l’apparition du procédé Solvay.

À la Belle Époque, un natromètre est un instrument servant à mesurer la soude ou la potasse des produits commerciaux.

Carbonate de sodium et natron (déca-hydraté)

Le carbonate de sodium est un corps composé chimique minéral (Na2CO3) connu pour différent usage depuis l’antiquité grâce à l’exploitation de la roche de natron et utilisé notamment dans l’industrie verrière antique. Le carbonate de sodium peut être obtenu à partir de gisements de natron (Na2CO3 • 10 H2O) dont il est chimiquement proche, il est peut-être souvent trouvé à l’état naturel sous forme de roche thermonatrite (Na2CO3 • H2O), ou encore de trona (Na2CO3 • NaHCO3 • 2H2O8).

Dans le langage courant, le carbonate de sodium est dénommé respectivement cristaux de soude et soude, mais qui ne doit pas être confondu avec la soude caustique NaOH (hydroxyde de sodium) ou encore avec le bicarbonate de sodium NaHCO3 (le bicarbonate de soude).

Utilisation

Connu il y a plus de 4 000 ans, le carbonate de sodium, cet alcali, a servi, très tôt, dès l’Antiquité égyptienne, à la fabrication du verre, dont il reste encore aujourd’hui un composant de l’industrie du verre à apporter de l’oxyde de sodium (Na2O) portant le technique de soude V. Cette dernière peut être aussi nécessaire à la fabrication d’émail, de couverte, d’émaux pour la céramique.

Le carbonate de sodium est utilisé encore aujourd’hui dans l’industrie des savons et des détergents, en particulier les lessives dont il en augmente l’efficacité en eau calcaire.

Il sert d’agent de neutralisation pour les eaux dites « agressives » ou « corrosives » et intervient dans la production des eaux potables. Il neutralise aussi l’acide sulfurique des batteries. Il a été et est abondamment utilisé comme alcali dans l’industrie de la cellulose et du papier. En sidérurgie, il est tout à la fois un fondant, un désulfurant, un désiliciant, déphosphorant et un dénitrurant ainsi qu’en métallurgie des métaux non ferreux. Il rentre aussi dans la composition de certains isolants en usage dans le secteur du bâtiment.

Il est également utilisé en chimie de synthèse pour préparer des dérivés sodiques de différents composés leur permettant de devenir beaucoup plus soluble comme : le bicarbonate de sodium purifié, le silicate de sodium et ses dérivés, les phosphates, le percarbonate de sodium, le bichromate de potassium, les sulfites, des engrais… mais également en biochimie, il permet de stopper une réaction enzymatique. Il entre dans le processus d’extraction de nombreux alcaloïdes, mais aussi dans la composition du Caffenol, un révélateur film noir et blanc et dans de fabrication de la nitroglycérine.

Le carbonate de sodium est aussi utilisé dans l’alimentation comme additif (E500-i) où il sert comme anti-agglomérant, régulateur de pH et comme agent de levuration où il est un constituant de la levure chimique : mélangé à de l’acide tartrique, il dégage du dioxyde de carbone qui gonfle la pâte à pain ou celle des pâtisseries.

Vendu sous le nom de « cristaux de soude », le carbonate de sodium est utilisé comme produit ménager écologique en saponifiant les corps gras en les rendant solubles à l’eau. Le carbonate de sodium n’est pas toxique pour l’environnement, mais il peut être irritant sur la peau. Il est donc préférable de le manipuler avec des gants.

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