La poutine est un plat de la cuisine québécoise composé, dans sa recette classique, de trois éléments : des frites, du fromage en grains et de la sauce brune. La poutine tire son origine du Centre-du-Québec à la fin des années 1950.
Mets longtemps ridiculisé et utilisé pour représenter de manière caricaturale, voire péjorative, la société québécoise, la poutine est en vogue dans les années 2020, et même célébrée, à l’extérieur des frontières du Québec. En 2020, des festivals de Poutine sont organisés à Drummondville, à Montréal et à Québec, et même hors de sa culture d’ancrage, comme à Chicago, au New Hampshire, à Toronto et à Ottawa. La poutine est offerte sous différentes formes, intégrant divers condiments, et fait avec des ingrédients autres que ceux utilisés dans la recette classique. Dans « Poutine Dynamics » publié par la revue CuiZine, Nicolas Fabien-Ouellet indique que, avec sa profusion de variations, la poutine constitue une catégorie culinaire à part entière, au même titre que les soupes, les boulettes, les sandwichs, etc.
Étymologie
Ce mot existe en Acadie et en Louisiane, avec des significations similaires, il semble qu’il s’agisse d’une adaptation du mot anglais « pudding ». D’ailleurs, on retrouve ce mot dans le dictionnaire canadien-français d’Oscar Dunn, publié à la fin du XIXᵉ siècle, avec la signification de « pudding ». En Louisiane francophone, « Poutine » est le mot utilisé pour signifier « pouding ». Le mot est d’origine anglaise, il est toujours utilisé là-bas pour désigner tout dessert qui suit un repas.
Certains prétendent que le mot « pudding » est la variante anglicisée du mot « boudin » (en anglais, le boudin noir s’appelle « black pudding »).
La prétendue origine provençale « poutingo », qui signifie « mauvais ragoût », est douteuse, puisqu’il y a eu très peu d’immigrants provençaux au Québec ou en Amérique du Nord.
Dans certaines régions de la Beauce, de Lotbinière et à Thetford Mines, la poutine est parfois surnommée « mixte ».
Sur la côte-est du Nouveau-Brunswick, dans les régions de Baie-Sainte-Anne, Pointe-Sapin, Saint-Louis-de-Kent et Richibouctou, le mot « patachoux » est utilisé afin de distinguer la poutine de la poutine râpée.
Une autre théorie voudrait que l’origine du mot vienne de l’expression anglaise « put in » qui signifie « mettre dans » à savoir : mettre du fromage et de la sauce brune dans un plat de frites.
Origine
En 1995, « Mixtes » figurait encore au menu du Royaume de la Patate, avec la mention « Poutine ».
La poutine (ou Mixte de son appellation d’origine) fait son apparition vers la fin des années 1950 dans le Centre-du-Québec. Plusieurs restaurants de cette région s’en disputent l’invention dont Le Roy Jucep à Drummondville, Le Lutin qui rit à Warwick et La Petite Vache à Princeville.
Le Roy Jucep (Drummondville)
La provenance la plus probable de la poutine serait Drummondville. Le restaurant Le Roy Jucep s’y présente en tout cas comme étant l’inventeur de la poutine et a enregistré la marque de commerce « L’inventeur de la Poutine ». Jean-Paul Roy, propriétaire de ce restaurant en 1964, serait le premier à avoir servi la poutine comme on la connaît aujourd’hui, c’est-à-dire « patates frites, fromage et sauce ». Le nom viendrait d’un mélange d’une déformation du mot anglais « pudding » et du surnom du cuisinier « Ti-Pout ». Monsieur Roy aurait, selon son témoignage, commencé à servir le fromage avec les frites et la sauce après la demande régulière de quelques clients. Jean-Paul Roy est décédé en août 2007 à Drummondville. Le brevet officiel, octroyé par le gouvernement fédéral canadien, est affiché dans le restaurant.
Le Lutin qui rit (Warwick)
Une autre histoire assez répandue explique qu’elle proviendrait d’un restaurant autrefois appelé Le Lutin qui rit situé à Warwick, dans la MRC d’Arthabaska. Selon la légende, en 1957, un client nommé Eddy Lainesse a demandé au propriétaire Fernand Lachance de mettre le casseau de fromage et le casseau de frites dans le même sac et le propriétaire aurait répondu : « Ça va faire une maudite Poutine », d’où le nom qui veut dire « mixture étrange ». Warwick a aussi été l’hôte de la plus grande Poutine au monde (3 034 kilos) durant l’été 2019. Ce record a été intronisé au livre des records Guinness.
La Petite Vache (Princeville)
Une autre légende veut que la naissance de la poutine ait eu lieu à Princeville au restaurant Princesse, dit La Petite Vache, fondé en 1966 par Henri Provencher. À l’époque, la fromagerie Princesse (maintenant située à Plessisville) produisait du fromage en grain, mais n’avait pas de kiosque de vente au détail. La Petite Vache étant située dans un immeuble adjacent à la fromagerie, ils commencèrent à vendre du fromage en grain frais à la caisse du restaurant. Un client assidu venait au restaurant et y commandait une frite et achetait un sac de fromage en grain pour ensuite aller à sa table, ouvrir le sac et y mélanger le fromage. Max Sévigny qui a été propriétaire du restaurant, a confirmé en novembre 2010 que l’appellation originale était 50-50 en référant à un mélange de 50 % de frites et 50 % de fromage. La sauce a ensuite été incluse et le nom « mixte » adopté. Le 50-50 a fait son apparition dès la première année d’opération de La Petite Vache. Pendant plusieurs années, dans les villes de Plessisville, Princeville et Victoriaville, la poutine était connue sous le nom d’un « mixte ». Ce n’est que lorsque de grandes chaînes ont commencé à vendre ce produit que le nom « Poutine » est apparu ; probablement en relation avec d’autres mets aussi appelés « poutines » et faits à base de pommes de terre. Le nom « mixte » a continué à être utilisé pendant plusieurs années dans les villes ci-haut nommées, même après que le mot Poutine soit largement répandu.
Les trois histoires ci-dessus ancrent la naissance du plat autour de 1960. Elles consolident également l’idée que c’est un client qui a eu l’idée de ce plat. Certains suggèrent même qu’il s’agit du même client, un voyageur de commerce ou un commis voyageur comme on les nommait à l’époque. Ce client aurait fait la même requête dans les restaurants qui se trouvaient sur son circuit commercial. En ce sens, la paternité de la poutine reviendrait directement à ce client (M. Lainesse ?) et seulement indirectement aux propriétaires des trois restaurants mentionnés. La proximité géographique des trois municipalités revendiquant la paternité de la poutine tend à confirmer cette théorie.
Mobilité sociale
Différentes symboliques furent attachées à la poutine depuis son origine dans le Québec rural des années 1950. D’abord ridiculisée et utilisée pour se moquer de la société québécoise, la poutine s’est récemment vue servie à la Maison-Blanche lors du premier dîner d’État rassemblant Barack Obama et Justin Trudeau. Alors que les premières générations à subir le stigma de la poutine ont préféré se dissocier du plat, la jeunesse québécoise se l’est récemment réappropriée d’une manière positive et affirmative, en faisant un symbole de fierté culturelle. Aujourd’hui le plat est célébré lors de festivals annuels de Poutine au Québec, au Canada, ainsi qu’aux États-Unis.
Charles-Alexandre Théorêt a étudié l’évolution des symboliques liées à la poutine dans son livre Maudite Poutine !. Il revient sur plusieurs de ces symboliques dans une entrevue accordée à l’émission Tout le monde en parle diffusée le 11 novembre 2007.
« Canadianisation » et appropriation culturelle de la poutine
Depuis que la poutine est en vogue et appréciée à l’extérieur des frontières du Québec, le mets s’est graduellement intégré dans l’« everyday nationalism » canadien, c’est-à-dire dans le discours et les symboles populaires du nationalisme canadien. Le mets est même aujourd’hui régulièrement présenté comme étant de cuisine canadienne (plutôt que québécoise), voire comme plat national du Canada. Cette canadianisation est considérée problématique par les mouvements Wokes, car elle constituerait une appropriation culturelle. Cette appropriation culturelle ne serait en rien liée à la consommation ou à l’adaptation du mets, mais bien à la présentation de la poutine en tant que « plat canadien ». Nicolas Fabien-Ouellet, l’auteur de l’article « Poutine Dynamics », donne l’explication dans un article publié au HuffPost.
Nicolas Fabien-Ouellet a également donné de nombreux entretiens sur le sujet de la canadianisation et l’appropriation culturelle de la poutine, notamment au New York Times, National Post, Vice, Radio-Canada, Global News: BC 1, CHOI 98.1 Radio X, ENERGIE 98.9, Vermont Public Radio, HuffPost, La Presse et Le Journal de Montréal.
Début décembre 2013, McDonald’s, qui offrait déjà la poutine au Québec depuis plus de dix ans, a étendu son offre à tout le Canada.
La poutine en politique
Dans la rubrique « Talking to Americans » de l’émission télévisée canadienne « This Hour Has 22 Minutes », lors des élections américaines de 2000, le comédien Rick Mercer s’est fait passer pour un journaliste et a demandé aux politiciens américains ce qu’ils pensaient du « Premier ministre Jean Poutine » et de son approbation de George W. Bush pour le président. (Le premier ministre du Canada à l’époque était Jean Chrétien). Aucune des personnes interrogées n’a remarqué l’insertion de « Poutine » et Bush s’est engagé à « travailler en étroite collaboration » avec M. Poutine. Quelques années plus tard, lorsque Bush a effectué sa première visite officielle au Canada en tant que président, il a plaisanté dans un discours : « Il y a un citoyen éminent qui m’a soutenu lors des élections de 2000, et je voulais avoir la chance de le remercier enfin […] J’espérais rencontrer Jean Poutine. » La remarque a été accueillie par des rires et des applaudissements.
En 2017, la poutinerie à thème russe Vladimir Poutine a ouvert ses portes à Montréal, avec des plats portant le nom de personnalités politiques, de Raspoutine à Donald Trump.
Dans la semaine qui a suivi l’invasion russe de l’Ukraine en 2022, de fréquentes insultes et menaces ont été reçues par les trois restaurants de la Maison de la Poutine à Paris, certains déclarants croire qu’ils travaillaient pour l’État russe.
Une autre poutinerie lyonnaise a changé le nom de son plat signature depuis 20 ans, la poutine Vladimir, déclarant que ce n’était « plus drôle ».
Au Québec, Le Roy Jucep a annoncé qu’il retirait le mot Poutine en soutien à l’Ukraine et revenait au terme « fromage-patate-sauce » sur ses menus et son image de marque.
Lors de l’élection fédérale canadienne de 2011, certains électeurs ont déclaré avoir reçu des appels automatisés prétendant provenir d’Élections Canada, d’un numéro de téléphone enregistré à « Pierre Poutine ». Les appels visaient des électeurs qui avaient précédemment indiqué qu’ils ne voteraient pas pour le Parti conservateur. Les appels, effectués le jour de l’élection ou la veille, informaient faussement les électeurs que leur bureau de vote avait été changé, dans le but de les empêcher de voter. Les allégations sont devenues connues sous le nom de « scandale Robocall » et une enquête subséquente de la Gendarmerie royale du Canada. Michael Sona, un employé subalterne du Parti conservateur, a été reconnu coupable d’avoir enfreint la Loi électorale.
Le Premier ministre belge Charles Michel a eu un déjeuner canadien avec son homologue Justin Trudeau le 16 juin 2017, au cours duquel ils ont mangé des hot-dogs et de la poutine. Charles Michel a tweeté plus tard que c’était « Une excellente façon de rencontrer un ami cher bien que nos frites soient meilleures », se référant à l’affirmation populaire selon laquelle les frites ont été inventées à l’origine en Belgique.
En 2019, le Canada a tenté d’obtenir un soutien pour sa campagne pour un siège non permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies lors des élections de l’année suivante en servant de la poutine aux diplomates de l’ONU.
Variantes
Il existe de nombreuses variantes ; certains restaurants en proposent près d’une centaine. Bien que certaines variantes soient typiquement régionales, il est possible de se voir proposer tous ces types de Poutine, et plus encore, dans certains restaurants spécialisés de Montréal ou d’ailleurs au Québec. Les variantes les plus connues sont :
- la Poutine italienne est une variante courante. On y remplace la sauce brune par de la sauce à spaghetti (sauce bolognaise) ;
- la western ou dalton, est une poutine conventionnelle à laquelle on a ajouté des saucisses ;
- la steak-haché est une poutine conventionnelle à laquelle on a ajouté de la viande hachée ;
- la galvaude où le fromage est généralement remplacé par du poulet et des petits pois verts. Mais, bien souvent, on conserve le fromage avec le reste des ingrédients ;
- la papachoux est une version de la galvaude à laquelle on ajoute du chou ;
- la poutine à la viande fumée (smoked meat) : patate frite, fromage en grain, sauce brune et viande fumée ;
- la poutine toute garnie (all dressed) : avec des poivrons verts et des champignons préalablement revenus à la poêle ;
- la poutine au foie gras : faite de frites « belges », de fromages du terroir, on y ajoute des morceaux de foie gras et l’on nappe le tout d’une demi-glace. La poutine au foie gras peut aussi être une poutine traditionnelle, mais dont la sauce demi-glace est montée au foie gras ;
- la poutine au poulet : patates frites, fromage en grains, sauce brune et morceaux de poulet ;
- la poutine au fromage râpé : Poutine ordinaire, mais servie avec du fromage râpé au lieu du fromage en grain ;
- la poutine BBQ avec choix de sauce BBQ (plutôt sucrée, un peu épicée) ou Hot Chicken (qui correspond à la traditionnelle sauce brune) ;
- la poutine au canard confit : Poutine ordinaire avec des morceaux de canard confit ou encore plus luxueuse avec une variante dans la sauce (ex. : sauce demi-glace) ;
- la poutine de patates douces : Poutine ordinaire dans laquelle les patates ordinaires sont remplacées par des patates douces ;
- la poutine 3 poivres : Poutine ordinaire où la sauce brune est remplacée par une sauce 3 poivres.