Pernod est la plus ancienne des marques d’anisés français, appartenant à la société Pernod du groupe Pernod Ricard. Même s’il est souvent désigné comme tel, le Pernod n’est techniquement pas un pastis qui doit contenir une certaine quantité de réglisse. Le produit est élaboré par mélange d’huiles essentielles de plantes aromatiques (principalement l’anéthol extrait de l’anis étoilé, également appelé badiane chinoise, ainsi que celles de menthe, coriandre, fenouil etc) obtenues par distillation aqueuse, avec de l’alcool neutre, de l’eau, du sucre et un ou plusieurs colorants.
Henri-Louis Pernod 1776 – 1851
Est un distilleur suisse qui propagea la consommation de la boisson alcoolisée absinthe. Sa société, la maison « Pernod Fils » créée à Pontarlier en 1805, Doubs, fusionna en 1928 avec « Pernod Père et Fils » fondée à Avignon par Jules-François Pernod et son fils Jules-Félix Pernod, dépositaire de la marque « Anis Pernod » depuis 1918.
Daniel Henri Dubied
Henri-Louis Pernod est le fils d’un bouilleur de cru local et gendre du major Daniel Henri Dubied, homme d’affaires suisse, négociant en dentelle d’origine huguenote et membre de la milice neuchâteloise (major en 1807), d’où son surnom de major Dubied. Il est connu pour avoir acheté, en 1797, la recette de l’absinthe aux demoiselles Henriod (qui la tenaient elles-mêmes de mademoiselle Grandpierre, gouvernante du Docteur Ordinaire, médecin franc-comtois exilé dans la principauté de Neuchâtel, qui avait obtenu cette recette d’une certaine « Mère Henriod », qui n’aurait rien à voir avec les « demoiselles » citées plus haut).
Daniel Henri Dubied fonde ensuite la première fabrique d’absinthe à Couvet, commune suisse de Val-de-Travers du canton de Neuchâtel, avec son fils Marcelin et son gendre Henri-Louis Pernod, sous le nom de Dubied Père et Fils. Entreprise qui sera reprise plus tard par Fritz Duval, un cousin des Dubied, qui créera à la suite de l’interdiction de l’absinthe le pastis Duval.
L’établissement de Pontarlier
Henri-Louis Pernod prend ensuite ses distances avec son beau-père et monte rapidement sa propre distillerie appelée Pernod Fils. En 1805, il en ouvre une nouvelle à Pontarlier, pour répondre à la demande du marché français.
Pernod contre Pernod
Parallèlement au développement du marché de l’absinthe depuis Pontarlier, un certain Jules-François Pernod (sans aucun lien de parenté avec Henri-Louis Pernod) fonde en 1860 la société Jules Pernod, spécialisée dans l’extraction de plantes pour la teinture. Puis, an 1884, la société se lance dans la distillation de l’extrait d’absinthe dans son usine de Montfavet dans le Vaucluse, sous le nom de la Société Pernod Père et Fils.
Les Pernod de Pontarlier et d’Avignon, vont alors entrer en concurrence sur l’absinthe et autres boissons anisées, jusqu’à ce qu’en 1926, Jules-Félix Pernod, fils de Jules-François, porte plainte contre l’entreprise de Pontarlier, ce qui occasionnera un procès, gagné par Jules-Félix en 1928, et la fusion des deux sociétés sous le nom des Établissements Pernod.
Jules-François Pernod 1827 – 1916
Jules-François Pernod, était un homme d’affaires, travaillant d’abord dans le secteur de la teinturerie, puis dans le secteur de la production d’absinthe. Il a créé en 1888 la marque d’absinthe Jules Pernod.
Origines familiales
Son père Gaspard Pernod, né le 6 décembre 1781 à Lalleyriat (Ain) et mort le 12 octobre 1843 à Avignon, était issu d’une vieille famille de l’Ain implantée à Lalleyriat depuis au moins le XVIIe siècle. Gaspard Pernod était venu s’installer dans la préfecture du Vaucluse comme teinturier en soies et indiennes (tissu peint ou imprimé fabriqué en Europe entre le XVIIe siècle et le XIXe siècle). La famille de Jules-François Pernod n’a aucun lien de parenté avec la famille de Henri-Louis Pernod, le célèbre distillateur suisse inventeur du procédé de fabrication de l’absinthe.
La production de garance (1860-1882)
Jules-François Pernod commence sa carrière professionnelle chez « Thomas Frères » comme chef de fabrication de produits chimiques destinés à être employés comme engrais. Parallèlement, il mène des travaux sur l’extraction du rouge de la garance, plante abondamment cultivée dans la région et découvre, vers 1858, un procédé pratique.
En 1860, il crée à Monfavet près d’Avignon (Vaucluse), avec deux financiers qui lui font confiance, la Maison Poncet, Picard et Cie, dont le but est « l’extraction de la couleur des racines de garance par le procédé Jules Pernod ». Avec pour principal débouché l’armée, qui arbore à cette époque des pantalons rouges garance, et dont un ancien ministre de la Guerre, Eugène Étienne déclara plus tard à la Chambre des députés en 1911 : « Éliminer le pantalon rouge ? Jamais ! Le pantalon rouge, c’est la France », lors d’un débat houleux sur la reforme des couleurs des uniformes de l’armée française.
De ce fait, l’entreprise grandit rapidement.
En 1876, après avoir réalisé des capitaux suffisants, Jules-François Pernod se sépare de ses deux financiers et fonde la Maison « Jules Pernod et Cie », toujours à Montfavet, dont le but est toujours la fabrication et le traitement d’extraits de garance, mais aussi la fabrication d’engrais chimiques.
Mais bientôt en butte à des difficultés économiques et financières, liées notamment développement des colorants industriels, Jules-François Pernod décide d’abandonner la production d’extraits de garance et de se tourner vers la distillation d’alcools (liqueurs, kirsch, rhum, cognac), tout en conservant cependant jusqu’en 1910 la production d’engrais chimiques. Il n’est pas encore question à cette époque de produire de l’absinthe.
La production d’absinthe (1882-1915)
En 1882, Jules-François Pernod rebaptise la société Jules Pernod et Cie sous le nouveau nom plus simple et plus direct de Jules Pernod et, profitant d’une homonymie avec la célèbre marque d’absinthe Pernod Fils de Pontarlier, se lance à son tour dans la fabrication d’absinthe. Le 29 octobre 1888, il dépose sa marque : Absinthe Jules Pernod.
En 1908, avec ses deux fils Jules-Félix (1871-1928) et Joseph-Louis (1872-1911) qui travaillent avec lui, Jules-François Pernod débaptise la société Jules Pernod qui redevient Jules Pernod et Cie. Elle continuera de produire de l’absinthe, jusqu’à son interdiction en France en 1915.
Entre-temps, à partir de 1909, une bataille judiciaire s’engage. La société Pernod Fils de Pontarlier attaque en procès la société Jules Pernod et Cie d’Avignon, afin d’interdire à cette dernière l’utilisation du nom « Pernod » pour ses produits. Le procès est gagné en appel le 12 juin 1911 par la société Jules Pernod et Cie qui conserve le droit de vendre son absinthe sous la marque Jules Pernod.
Rapidement enrichi par la commercialisation de la fée verte, Jules-François Pernod s’est fait construire de son vivant une somptueuse demeure au 75 rue Guillaume Puy à Avignon.
Le 27 juillet 1916, peu avant sa mort, Jules-François Pernod rebaptise la société Jules Pernod et Cie sous une nouvelle raison sociale : « Pernod Père et Fils » (à ne pas confondre avec la Maison « Pernod Fils » de Pontarlier créée en 1805 par Henri-Louis Pernod). Son fils Joseph-Louis étant mort en 1911, c’est à son autre fils, Jules-Félix, qu’il reviendra de poursuivre l’affaire familiale après la mort de son père.
En 1921, l’entreprise deviendra une société anonyme sous le nom « Les Établissements Pernod Père et Fils ». Le 4 août de la même année, Jules-Félix Pernod dépose les trois marques « Anis Pernod », « Pernod » et « Un Pernod », devançant ainsi la marque rivale « Pernod Fils » de Pontarlier qui ne pourra plus utiliser ces mots pour désigner ses produits.
Finalement, en 1928, la société Pernod Père et Fils d’Avignon et la société Pernod Fils de Pontarlier décident de fusionner pour donner naissance à la société « Les Établissements Pernod ». C’est cette société qui donnera plus tard naissance en 1975 au groupe Pernod Ricard.
Jules-Félix Pernod 1871 – 1928
Il est le fils de Jules-François Pernod qui, en 1872, a fondé la société « Pernod et fils » à Avignon.
La production d’absinthe initiée par son père et qui avait assis la fortune de la famille commence à être la cible d’une vive campagne contre ses méfaits dès 1907. Sa production est interdite par une loi du Parlement français votée le 16 mars 1915. Successeur de son père à la tête de l’entreprise Pernod Père et Fils d’Avignon en 1916, Jules-Félix fonde en 1918 la marque Anis Pernod qui produira le premier pastis commercialisé. Son usine de Montfavet met aussi en marché d’autres produits anisés ou non comme le « Vin Pernod », le « Kunnel Korta », le « Velours » sans alcool ou toute une gamme d’anis à 30, 32, 35 et 40°.
En 1926, les Maisons A. Hémard et Pernod Fils Réunies, propriétaires de la célèbre marque Pernod Fils de Pontarlier, ayant déposé la marque « Anis Pernod fils », Jules-Félix dépose une plainte contre eux qu’il argumente ainsi : « Il y a en notre faveur une antériorité indiscutable, l’Anis Pernod ayant été déposé à la fin des hostilités de 1914-1918, alors que la marque Anis Pernod et fils ne l’a été que dans les premiers mois de 1926. Dès l’apparition des produits anisés, nous avons été, et restons les premiers dans le monde, les seuls Pernod fabricants d’anis. Nous ajouterons que notre ancien concurrent Pernod fils, dont nous ne contestons nullement l’existence en tant que marque d’absinthe, n’a aucun droit à l’appellation Pernod pour l’anis, le succès de notre marque Pernod a fait et fera des envieux, Nous en aurons raison ».
Le procès fut gagné en première instance et il fut fait appel. Jules-Félix Pernod décéda en 1928, mais le 4 décembre de cette même année, les deux établissements d’Avignon et de Pontarlier fusionnèrent pour devenir les « Établissements Pernod ».
Le Perniflard
En 1938, coïncidant avec la relaxe de la législation française permettant à nouveau la vente de pastis et boissons similaires titrant à 45°, est commercialisé pour la première fois, le Pernod 45.
Le Pernod suscite dès cette époque une abondante littérature, comme dans « l’Espoir » de Malraux (1937, page 677) qui nous livre la description suivante : « Apéritif anisé à à quarante-cinq degrés, de couleur jaune d’or virant au jaune laiteux quand on l’étend d’eau. Il entendait entraîner tous ceux qu’il touchait dans la délivrance sinistre qu’il eût trouvée dans le dégoût général, comme il l’avait trouvée dans le Pernod ».
Rapidement, le « Pernod 45 » devient une boisson populaire et probablement hérite du surnom déjà attribué par le passé à l’absinthe Pernod, de Perniflard.
Ce terme est également repris dans de nombreux romans noirs et policiers, où Auguste Le Breton en 1960 nous livre : « Avec six Perniflards dans le ventre, Sylvain la jambe de Bois se prenait pour Caruso »
Guerre et après-guerre
Comme pour le Pastis, la France du maréchal Pétain voit d’un très mauvais œil le Pernod, reprochant à la « France de l’Apéro », d’être responsable de la défaite, et donc interdit en août 1940 comme toutes les boissons au-dessus de 16°. Les usines Pernod durent se reconvertir.
À la Libération, le nouveau gouvernement, à la surprise des distillateurs, ne révoque que partiellement les dispositions de Vichy en n’autorisant que les apéritifs à 40°, mais l’État soucieux de trouver de nouvelles recettes fiscales abroge la prohibition en 1949.
En 1951, une loi interdit la publicité des produits anisés par affiche et par presse, Pernod relance sa boisson sous l’appellation de « Pastis 51 », en référence à l’année de lancement du produit (les apéritifs anisés, interdits sur le marché français, furent à nouveau autorisés en 1951) et envoie alors ses commerciaux (appelés « structure de propagande » à l’époque) qui contournent cette interdiction en développant des produits dérivés (pot à eau, cendrier, bob, etc.).
En 1954, Pernod 51 est rebaptisé Pastis 51, puis tout simplement 51.
Pernod-Ricard
En 1975, les sociétés Pernod et Ricard fusionnent pour créer le groupe Pernod-Ricard.
Fort de son expérience, depuis 2005, Pernod commercialise Pernod aux extraits de plantes d’absinthe, un « spiritueux anisé » inspiré d’une recette qui fit le succès de la maison Pernod à la fin du XIXᵉ siècle, profitant de la fin de l’interdiction de l’absinthe en France. Cette liqueur sans sucre à 68° a un taux de thuyone inférieur à 10mg/l, répondant aux contraintes législatives françaises en vigueur.