La thériaque

Thériaque : Illustration du Tacuinum sanitatis.

La thériaque (via le latin theriaca, du grec thēriakón (antídoton), de thēr(ion) : animal, animal sauvage, animal vénéneux) est une préparation, connue depuis l’Antiquité, contenant une cinquantaine de composants, dont une assez forte dose d’opium, à laquelle on alléguait des vertus toniques et efficaces contre les poisons, les venins et certaines douleurs. Il était utilisé au Moyen Âge comme remède universel coûteux, administré contre de nombreuses maladies et affections.

Rapportée à Rome par Pompée, elle fut plus tard complétée par Andromaque, médecin de Néron.

Description

S’inspirant du contrepoison de Mithridate VI, le médecin Andromaque dressa la recette en vers élégiaques d’un mélange de plus de cinquante drogues, plantes et autres ingrédients, dont le castoréum, l’opium, la vipère et la scille. Pline l’Ancien, dans son Histoire naturelle (livre XXIX, VIII, 8), fustige déjà la multiplicité des ingrédients de la thériaque, qu’il considérait comme une « vaine ostentation de science, et un charlatanisme monstrueux ». Au IIᵉ siècle, le médecin grec Galien invente la thériaque, qui est le premier antidote contre les poisons.

Elle était réputée efficace contre l’empoisonnement avec le pavot, ciguë, jusquiame, aconit ; contre la cantharide, la morsure de la vipère, du chien enragé, contre la piqûre du scorpion et autres animaux venimeux, contre les empoisonnements et toutes sortes de venin. Elle aurait été efficace contre la peste et de nombreuses maladies.

Préparée par les apothicaires, la composition de la thériaque a beaucoup varié. Celles préparées à Venise et Montpellier étaient très réputées.

Du fait de nombreuses fraudes durant sa fabrication, les apothicaires parisiens décidèrent au XVIIe siècle de la préparer en public devant des médecins et des représentants des autorités. C’est Moyse Charas qui le premier, en 1667, rendit sa formule publique. Il la préparait au cours de la semaine de la thériaque, vers le mois de février. Sa préparation nécessitait plus d’un an et demi (car elle devait fermenter) et faisait appel à plus de soixante-quatre ingrédients végétaux, minéraux et animaux des plus variés, sans compter le vin et le miel : gentiane, poivre, myrrhe, acacia, rose, iris, rue, valériane, millepertuis, fenouil, anis ainsi que de la chair séchée de vipère, de l’opopanax et des rognons de castor5 (probablement des glandes à castoréum).

Préparation thériaque publique à Venise 1512.

À côté de la « grande thériaque » existait une thériaque diatessaron (« thériaque des pauvres » ou encore « thériaque des Allemands ») composée de quatre plantes : aristoloche ronde, baies de laurier, myrrhe, gentiane réduit en poudre et mélangé à du miel et à du genièvre pour constituer un électuaire liquide (Opiat).

La thériaque était reconnue à l’époque comme étant une panacée en vertu de son action contre les poisons et les venins, mais aussi contre de nombreuses maladies, elle contenait aussi de l’extrait d’opium (environ 25 mg pour 4 g).

Elle ne fut supprimée du Codex medicamentarius, Pharmacopée française, qu’en 1884 pour diverses raisons, à cette époque la médecine empirique est peu à peu rejetée.

Composition

Pot à thériaque du xviiie siècle (Hospices de Beaune, Côte-d’Or).

La formule de la thériaque telle que la donne Galien fut exactement rapportée dans divers ouvrages, et notamment dans la pharmacopée de Johann Zwelfer (Pharmacopoeia augustana, 1653) et le Codex français de 1758. Il y entre alors des trochisques (rondelles desséchées) de scille, de vipère et de pavots qui sont les trois ingrédients majeurs. Depuis Zwelfer, la formule primitive avait été lentement modifiée, mais sur des points de détail seulement : certains composants ne se rencontrant plus dans le commerce de la droguerie, on leur avait substitué des produits équivalents. La modification la plus importante fut, dans la seconde moitié du XIXe siècle uniquement, l’abandon de la chair de vipère desséchée dans la thériaque. Jusqu’à quatre-vingt-sept plantes aromatiques entraient dans la préparation de la thériaque, composée dans la pharmacie d’un monastère.

À la fin du XIXᵉ siècle, selon le Codex, la formule légale de la thériaque était la suivante :

Ingrédient Grammes
Acore aromatique 30
Agaric blanc (champignon de Paris) 60
Benjoin 20
Bitume de Judée 10
Bois d’aloès 10
Cachou 40
Cannelle de Ceylan 100
Castoréum 10
Dictame de Crète (marjolaine) 30
Écorce sèche de citron 60
Feuilles de laurier 30
Feuilles de scordium (Teucrium scordium) 60
Fleurs de stoechas (lavande) 30
Fruits d’ammi 20
Fruits d’anis 50
Fruits d’ers (Vicia ervilia) 200
Fruits de « séseli de Marseille » (Seseli tortuosum) 20
Fruits de daucus de Crète (carotte) 10
Fruits de fenouil 20
Fruits de navet 60
Fruits de persil 30
Fruits de petit cardamome 80
Galbanum (extrait de férule) 10
Gingembre 60
Gomme arabique 20
Iris de Florence 60
Mie de pain 60
Myrrhe 40
Oliban 30
Opium de Smyrne 120
Opopanax 10
Poivre long 120
Poivre noir 60
Quintefeuille (potentille) 30
Racine d’aristoloche probablement Stephania tetrandra à l’origine 10
Racine d’asarum 10
Racine de gentiane 20
Racine de meum 20
Rapontic (rhubarbe) 30
Rose rouge 60
Safran 40
Sagapénum (gomme séraphique) 20
Sommités de calament 30
Sommités de chamaepitys (un bugle soit Ajuga iva, soit Ajuga chamaepitys) 20
Sommités de germandrée petit-chêne (« chamaedrys ») 20
Sommités de marrubes (Marrubium vulgare) 30
Sommités de millepertuis 20
Sommités de pouliot des montagnes (peut-être une espèce de menthe ou de germandrée) 30
Squammes de scille 60
Suc de réglisse 120
Sulfate de fer sec 20
Terre sigillée 20
Valériane 80

Vase à thériaque, collection du Musée des Hospices civils de Lyon.

On pilait toutes ces substances, convenablement desséchées, puis on les passait au tamis de soie de manière à obtenir une poudre très fine et à laisser le moins possible de résidus : c’était la poudre thériacale. On prenait alors 1 000 g de cette poudre, 50 g de térébenthine de Chine, 3 500 g de miel blanc et 250 g de vin de Grenache.

On liquéfiait dans une bassine la térébenthine, et on y ajoutait assez de poudre thériacale « pour la diviser exactement ». D’autre part, on faisait fondre le miel et, tandis qu’il était assez chaud, on l’incorporait peu à peu au premier mélange ; on y ajoutait alors par petites quantités le reste de la poudre et du vin, ce qui devait donner finalement une pâte un peu molle, appelée électuaire.

Après quelques mois, on triturait de nouveau la masse dans un mortier pour la rendre parfaitement homogène.

Mode d’administration et doses

La Guérison du favori piqué par un serpent dans le pavillon royal. Livre de la Thériaque de Paris, manuscrit arabe du XIIᵉ siècle, BNF Ar.2964.

La thériaque était un électuaire, c’est-à-dire une pâte de consistance un peu plus solide que le miel, assez molle quand elle était récente, assez ferme lorsqu’elle avait vieilli (souvent de plusieurs années). Sa couleur était noirâtre en raison du suc de réglisse qu’elle contenait.

Pour les affections internes, on l’administrait ordinairement à raison de 4 g chez l’adulte, et de 50 centigrammes à 2 g chez les enfants, selon l’âge. On la faisait prendre soit nature, soit en potion en la délayant dans de l’eau.

Pour les affections externes, elle pouvait s’employer en pommade, ou en teinture, après l’avoir délayée dans de l’eau-de-vie (dans la proportion d’une partie de thériaque pour 6 d’eau-de-vie).

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