L’extrait de viande est un bouillon de viande très concentré, généralement fabriqué à partir de bœuf, de volaille ou de poisson. Il est utilisé pour ajouter une note de viande dans les boissons chaudes, ou comme base pour les potages, les sauces, ou autres mets.
Il est couramment admis que l’extrait de viande alimentaire a été inventé par le baron Justus von Liebig, chimiste allemand du XIXᵉ siècle. Celui-ci avait probablement une logique scientifique première à but humanitaire en vue de combattre la sous-alimentation. Mais ses recherches ont vite évolué vers une logique commerciale.
Les plus pauvres ne pouvant se payer de la viande de bœuf, il en conçut en 1840 un extrait concentré, « Extractum carnis Liebig », servant de substitut à la viande. Mais, il fallait 30 kg de viande pour produire 1 kg d’extrait, ce qui le rend trop cher.
Les prémices
En attendant, l’extrait de viande n’est pas la création d’une seule personne, mais découle d’un long processus de recherches multiples.
Le développement des pratiques culinaires et de la gastronomie a conduit les cuisiniers à réduire le bouillon de viande jusqu’à obtenir une matière sirupeuse utilisée pour la préparation d’autres plats. Nommé, « gelée de chair » (gelatina carnium), ce bouillon est également utilisé en médecine au XVIIᵉ siècle en cas de fièvres et d’affections respiratoires.
Nommée par Menon, célèbre cuisinier et écrivain culinaire du XVIIIe siècle, « glace de viande », le chef cuisinier Vincent la Chapelle en donnera plus tard une première recette à base de veau et de jambon, puis une autre qualifiée de « Grand bouillon fait de tablettes, facile à transporter, et à conserver pendant un an et plus ». Ce grand cuisinier semble proposer une utilisation, avant 1742, de ce bouillon en tablette, appelé aussi soupe portative.
Il est donc un des précurseurs de l’élaboration et de l’emploi de l’extrait de viande et du cube de bouillon.
Les travaux de Justus Liebig
En 1841, Justus Liebig pris connaissance des travaux d’Antoine Parmentier sur les végétaux nourrissants, puis imagine d’ajouter de l’extrait de viande à des plantes et à des racines potagères pour en relever la saveur. Les recherches sur la fabrication d’extrait de bœuf de Joseph Louis Proust l’intéressaient également. Comme eux, Justus Liebig analyse les substances qui composent la viande et en tire une recette d’un extrait de viande. Il ambitionne de produire cet extrait directement sur les lieux d’abattage des antipodes (Argentine, Mexique, Australie…) où des milliers de bœufs sont élevés pour leur cuir et leur graisse, mais la viande est jetée, faute d’avoir les moyens de conservation pour l’exportation. L’extrait de viande serait ensuite importé dans les pays européens dont les populations depuis le XVIIIe siècle se nourrissent de pommes de terre.
Justus Liebig reprend aussi une idée d’Anselme Payen, publiée en 1830 qui proposait d’utiliser les cadavres d’animaux, car ceux-ci, ayant mangé des végétaux, ont stocké de grandes quantités de matières azotées. Le résidu des viandes, après le procédé d’extraction, est séché et broyé en une poudre appelée « farine fourragère de viande » et destinée à l’alimentation des animaux. Cette farine fourragère de viande comporte plus de protéines que tout autre produit, naturel ou industriel, donné aux bêtes et constitue une des premières farines animales.
LEMCO
Près de vingt ans plus tard, l’ingénieur belge George Christian Giebert propose à Justus Liebig la création d’une usine en Uruguay à Fray Bentos. La « Liebig’s Extract of Meat Company » (LEMCO qui deviendra plus tard Oxo) est créée à Londres et envoie sa première cargaison en 1864 d’« extractum carnis Liebig » au port d’Anvers. Le produit original était un liquide visqueux, contenant uniquement de l’extrait de viande et 4 % de sel.
Dès la marchandise arrivée, des prélèvements sont effectués et analysés afin de vérifier la qualité du produit (absence de graisse, de gélatine, de substance étrangère), puis mise en vente. C’est la première fois qu’une garantie est attribuée à un produit industriel.
L’usine de Fray Bentos fabrique de nombreux produits : l’extrait de viande Libox, la graisse de bœuf Liebig, le corned beef du même nom, la langue de bœuf Fray-Bentos et les concentrés de tomates Carlo Erba. La production s’accompagne d’une campagne publicitaire moderne, avec affiches, calendriers et distribution de chromos, (une forme d’imagerie populaire).
Le succès aidant, la concurrence se développe avec des produits similaires : Knorr en 1886, Maggi en 1887, Bovril en 1889… de même que l’apparition de nouveaux produits comme l’assaisonnement liquide Maggi en 1899.
Mais en plus, Liebig et la Lemco doivent faire face à une abondante contrefaçon et d’usurpation du nom. Certains fraudeurs prétendaient que le nom Liebig, étaient tombés dans le domaine public.
OXO et Viandox
OXA, dont l’origine du nom est inconnue ; cela viendrait probablement du mot anglais ox signifiant bœuf.
Pour faire face à la concurrence, en 1899, la « Liebig’s Extract of Meat Company », lance la marque OXO, dont l’origine du nom est inconnue ; cela viendrait peut-être du mot anglais ox signifiant bœuf. OXO est moins chère que l’extrait Liebig considéré comme trop élevé pour les foyers les plus modestes.
Le bouillon OXO se présente aussi sous forme liquide, en flacon, dénommé Viandox (1920) pour le marché français. Il est employé pour les préparations d’une gelée, d’un bouillon ou relevé le goût d’un mets.
Malgré son prix plus bas que Liebig, Oxo reste toutefois trop onéreux pour de nombreuses familles alors la société développe une version solide pouvant être vendue en cubes. Les premiers seront produits en 1910 et accélèreront la popularité d’Oxo.
Le Viandox a été mis au point selon un procédé originellement inventé par Justus von Liebig. Selon la légende, il aurait été inventé en mai 1907 par le pasteur Jules Viandox lors d’un accident culinaire ou ayant oublié son rôti dans le four, l’homme de foi y aurait ajouté quelques ingrédients à la sauce brûlée, ce qui aurait donné naissance au Viandox que nous connaissons.
Soluble ou liquide, il est, à l’évidence, un équivalent de l’extrait de viande soluble OXO inventé en 1899 pour le marché britannique. Il sera commercialisé à partir de juin 1921 en France par la filiale française de la LEMCO : la Compagnie française des produits Liebig (Aubervilliers-La Courneuve). Jusqu’aux années 70, le Viandox, sous forme de bouillon, était consommé dans les cafés brasseries (des grandes tasses publicitaires logotypées « viandox » étaient fournies) et l’usage était de proposer au consommateur du sel au céleri comme condiment au bouillon de Viandox.
Aliment de guerre
Selon les idées de Liebig, l’extrait de viande aurait dû être un nutriment principalement pour la population plus pauvre, mais au lieu de cela, il fut consommé par les troupes prussiennes lors de plusieurs conflits : la guerre des Duchés (seconde guerre prusso-danoise) en 1864, la guerre austro-prussienne en 1866 et la guerre franco-prussienne de 1870-1871.
Durant la Première Guerre mondiale (1914-1918), les armées allemandes et britanniques avaient dans leur ration alimentaire quotidienne de l’extrait de viande contenu dans des boîtes en fer blanc (Iron rations).
Les boîtes en fer blanc ont été inventées en 1810 par Peter Durand pour remplacer les bouteilles et les bonbonnes qui servaient jusque-là de contenant pour les conserves.
Pendant la Première Guerre mondiale, 100 millions de cubes Oxo ont été fournis aux forces armées britanniques, tous emballés individuellement à la main.
Ces guerres eurent pour conséquence d’accroitre la production en Amérique du Sud de corned-beef et d’extrait de viande, là où Liebig possède élevages et usines.
Extrait de viande de cheval
Si on fabrique de l’extrait de viande à partir du bœuf, du mouton ou du poulet, on peut en fabriquer à partir du cheval.
Le Docteur en médecine Gumprecht, conseiller de la cour du duc régnant de Saxe-Cobourg Gotha, avait préparé, le 14 mars 1855, de l’extrait de cheval selon la méthode Liebig et avait attiré l’attention des pays européens de son utilité. Il notait que, malgré les réticences en matière d’hippophagie, ce serait utile pour les armées dans lesquelles la viande de bœuf manquait souvent, et aussi pour « l’humanité souffrante ». Quant à la quantité nécessaire dans les villes, il précisait : « Cette quantité requise peut facilement, et à des frais minimes, être obtenue à Paris. Dans cette grande capitale, il arrive journellement des accidents graves à un grand nombre de chevaux qui sont ensuite envoyés à la voirie ; on pourrait acheter à bas prix ces chevaux, et utiliser leur viande avec avantage ».
Malgré cela, l’extrait de viande de cheval ne sera pas développé industriellement. Par contre, des extraits de bouillon de poisson et de bouillon végétal vont apparaître dans la gamme des bouillons en tablettes, cubes ou poudre, consommés dans le monde entier aux XXe et XXIe siècles.
De nos jours
Les extraits de viande ont été largement supplantés par les cubes de bouillon et l’extrait de levure. Certain produit comme l’Arôme Maggi n’en contient plus depuis 2006, ou des marques d’extrait de viande, comme Oxo, Viandox et Bovril, l’associent avec de l’extrait de levure. Pour exemple, la formulation actuelle de Bovril contient 41 % de bouillon de bœuf, 24 % d’extrait de levure, 1 % de bœuf déshydraté et du sel (3,88 g de sodium pour 100 g), des extraits d’épices et des exhausteurs de goût, entre autres.
La seule marque actuelle d’extrait pur de viande est le « concentré de bœuf Liebig », comprenant uniquement du bouillon de viande et 4 % de sel.
Un extrait de viande de haute pureté reste toujours disponible auprès des sociétés de fournitures de laboratoire pour la microbiologie et l’élevage de bactéries.
Histoire du Bovril
Bovril est une marque britannique produisant un extrait de bœuf épais et salé vendu dans un bocal original. Dilué dans de l’eau chaude, il peut se consommer comme boisson, ou donner du goût aux soupes, aux ragoûts et au gruau, ou en tartine sur du pain.
Le Bovril fut inventé en 1877 par John Lawson Johnston mais dont l’origine remonte à quelques années plus tôt. Lors de la guerre franco-prussienne de 1870–1871, l’Empereur Napoléon III commanda un million de boîtes de bœuf pour nourrir ses troupes. Cette tâche de fournir tout ce bœuf a été déléguée à un Écossais vivant au Canada dénommé John Lawson Johnston.
Si de telles quantités n’étaient pas disponibles en Grande-Bretagne, elles l’étaient dans les Dominions britanniques et en Amérique du Sud, seul le transport et le stockage posaient problèmes. En conséquence, Johnston a créé un produit connu sous le nom de « Johnston’s Fluid Beef » plus tard appelé Bovril, pour répondre aux besoins français.
Donc le « Bœuf liquide Johnston » amélioré devant officiellement le Bovril en 1877.
Bovril doit son nom à un roman qui connut un vif succès en son temps « The Coming Race » publié en 1871 à Londres et dans lequel une race humanoïde souterraine tire des pouvoirs importants en exerçant un contrôle mental sur un fluide énergétique appelé « Vril ». A « Vril » fut accolé le préfixe « bo » venant du latin « bos » signifiant bœuf, pour former le mot Borvril.
Rapidement, Bovril connu un tel succès qu’en 1888, il était commercialisé en Grande-Bretagne dans plus 3 000 magasins, pubs, pharmacies, etc. Cela incite Johnston à créer en 1889, la « Bovril Company ». Ce produit était conditionné en Argentine où la société possédait des ranchs dont la taille était équivalente à la moitié de celle de l’Angleterre avec environ 1,5 million de têtes de bétail.
Durant le premier conflit mondial, il devient très populaire et apprécié des ambulancières britanniques qui le consommaient en boisson, mélangé à de l’eau chaude. Il est fréquemment mentionné dans le roman « Not So Quiet : Stepdaughters of War » d’Evadne Price paru en 1930 sous le pseudonyme « Helen Zenna Smith », où elle y raconte sa vie en tant qu’ambulancière sur le front et y décrit la préparation du Bovril pour les blessés à l’hôpital de Mons.
Surnommé « thé de bœuf », il est devenu, et est encore aujourd’hui, la boisson incontournable des supporters dans les stades de football britanniques permettant de lutter contre le froid.
Lors de l’expédition Endurance d’Ernest Shackleton, officiellement appelée « Imperial Trans-Antarctic Expedition » (1914-1917), le « thé de bœuf Bovril » fut la seule boisson chaude consommée par son équipe, lorsqu’elle a été bloquée sur l’île de l’Eléphant après la perte de leur navire le « Aurora ». Ils réussirent, grâce à ce breuvage, à survivre de l’extrême rigueur de l’Antarctique et à revenir de leur périple par leurs propres moyens.
Le Bovril est également produit en Afrique du Sud. Pendant le siège de Ladysmith (30 octobre 1899 et le 25 février 1900) durant la seconde guerre des Boers, une pâte semblable a été produite à partir de viande de cheval ou de mulet de la garnison britannique. Ainsi, jusqu’à la fin du siège, militaires et civils assiégés vécurent grâce à cet extrait de viande surnommé Chevril. Mot valise composé de Cheval en français et de Bovril, le che de cheval venant remplacer le bo de bœuf.
Dans une campagne publicitaire originale du début du XXe siècle (en Grande-Bretagne) il est représenté sur une affiche le pape Léon XIII assis sur son trône, portant une tasse de Bovril avec le slogan : « Les deux pouvoirs infaillibles – Le pape et Bovril ».
À la mort de John Lawson Johnston, son fils cadet George Lawson Johnston hérita de l’entreprise Bovril. Homme d’affaires et humaniste, il reçut, en 1929, le titre de Baron Luke, de Pavenham, (dans le comté de Bedford) pour son travail dans les hôpitaux. Saint-Luke (saint Luc) étant le patron des hôpitaux.
En novembre 2004, en raison de l’épidémie de la « vache folle » et dans l’espoir de dissiper les craintes de la transmission de l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) à l’homme, Bovril a annoncé qu’il remplacerait l’extrait de bœuf par de l’extrait de levure de bière.
En 2006, le bœuf a été réintroduit comme ingrédient, après la levée de l’interdiction de l’importation du bœuf britannique par l’Union européenne, mais la levure de bière représente encore 24 % des ingrédients.
Depuis son invention, Bovril est devenu une icône de la culture britannique.