Soupe portative
La soupe portative (en anglais portable soup) était un aliment déshydraté utilisé du XVIIᵉ au XIXᵉ siècle. C’était l’annonciatrice de l’extrait de viande et du cube de bouillon ainsi que des aliments déshydratés industriels. C’est une cousine de la « glace de viande » utilisée en cuisine française. Ce fut longtemps un aliment de base pour les marins et les explorateurs, se présentant sous forme de plaquette et pouvait se conserver pendant des mois, voire des années et constituait un plat copieux et nutritif. La soupe portative était, selon la Household Cyclopedia de 1881, « extrêmement pratique pour les familles, car pour obtenir une marmite de bon bouillon seulement en quelques minutes, il suffisait de verser dans une casserole 1 litre d’eau, un peu de sel et la fameuse plaquette déshydratée.
Les Anglais précurseurs
En Angleterre, à la fin du XVIᵉ siècle, Sir Hugh Plat a écrit, dans ses notes, que la « soupe portative » pourrait servir comme ration militaire potentielle pour l’armée et la marine. Il l’a décri comme un bouillon de viande réduit à une pâte épaisse et sèche qu’il a appelée « Gelly ». La recette de base de ce plat était de faire bouillir les pieds ou les jarrets de bovins de boucherie pendant une longue période pour faire « un bon bouillon » qui ensuite sera filtré et réduit en « une gelée forte et raide ». Cette dernière sera séchée sur des chiffons propres dans un endroit aéré, à l’abri du soleil, puis coupée en morceaux avec un fil de fer saupoudré de farine pour que ces portions ne collent pas. Enfin, ces dernières seront stockées dans des boîtes en bois.
Dès le XVIIᵉ siècle, l’extrait de viande séchée était disponible en cubes comme provision pour les voyageurs au long cours. Il n’était pas produit de façon industrielle, mais de manière artisanale selon des recettes variées.
En 1747, la célèbre cuisinière Hannah Glasse donne une recette à base de viande de bœuf dans « The Art of Cookery made Plain and Easy ». Il s’agit d’une « glace de viande » (c’est-à-dire le résultat de la réduction lente de fonds de cuisson très clairs jusqu’à obtention d’une substance pâteuse ou sirupeuse) mise à dessécher en pots.
À la fin des années 1750, le Victualling Office de la Royal Navy a commencé à fournir aux marins une dotation de « soupe portative ». Convaincu du fait qu’elle améliorerait la santé des hommes affaiblis par le scorbut et d’autres maladies couramment rencontrées lors des longs voyages en mer.
Cette « soupe portative » était constituée de viande, d’abats et de légumes bouillis assimilés en une pâte épaisse. La pâte était ensuite séchée et coupée en tablette, qui étaient distribués aux navires entreprenant de longs voyages en mer à raison de cinquante livres (22,7 kilos) pour cent hommes à bord. La soupe était préparée lors de la traversée en dissolvant les tablettes dans de l’eau bouillante.
Ce procédé de fabrication de soupe portable est généralement considéré comme l’invention d’une tenancière de taverne londonienne, appelée Mme Dubois. Celle-ci était la veuve d’un chef cuisinier français. En partenariat avec William Cookworthy, un fabricant de porcelaine de Plymouth, Mme Dubois remporta un contrat de fabrication pour la Marine en 1756.
Le Capitaine James Cook (1728-1779) lors de ses trois voyages à la recherche de la « Terra australis », s’étant muni de choucroute, de malt, de bière et de « soupe portative », fut convaincu que la consommation régulière de ce breuvage était en grande partie responsable de la faible incidence du scorbut lors de ses expéditions. Parmi les conseils et enseignements de ces voyages, Cook et ses officiers en second validèrent leurs idées sur l’alimentation pour éviter le scorbut, ainsi que l’usage d’« écorce du Pérou », le quinquina contre les fièvres.
De nos jours, le National Maritime Museum de Greenwich expose un de ces cubes, issu d’une expédition James Cook.
Au début du XIXᵉ siècle, cependant, l’opinion médicale était encline à être d’accord avec Gilbert Blane (1749-1834), le médecin naval britannique le plus influent de l’époque napoléonienne. Dans son traité de 1815, « Sur la santé comparée de la marine britannique de 1779 à 1814 », Blane a rejeté la « soupe portative » comme étant insuffisamment « copieuse, solide ou abondante dans le but de garder la santé ». Il privilégie un procédé d’embouteillage de viande adopté par la Marine française en 1806. C’est ce procédé qui fut utilisé en 1813 par la Royal Navy pour fournir les premières rations de viande en conserve de fer blanc.
Tablettes de bouillon de la Marine française
Un procédé de production industrielle d’extrait de viande a été développé vers 1800 par les chimistes français Joseph Louis Proust et Antoine Parmentier, qui fabriquaient des tablettes (comprimé) de bouillon très riches et d’autres de viande séchée selon la méthode des Amérindiens du Pérou.
Ces tablettes ont été utilisées dans l’alimentation des équipages de la Marine française avant d’être remplacées plus tard par l’extrait de viande de Liebig. La soupe préparée avec de l’eau chaude était également appelée bouillon de table ou de poche. Cependant, ce produit était souvent contrefait, ce qui contribua à le discréditer. Ces tablettes frelatées se composaient fréquemment de presque rien d’autre que de la colle protéinique parfumée avec à l’arôme viande rôti.
La gélatine
La première utilisation connue de la gélatine remonte au XVᵉ siècle en Grande-Bretagne, où des sabots de bétail étaient bouillis un certain temps pour produire un gel. Ce processus laborieux et long était utilisé par les foyers les plus riches. Le premier brevet anglais enregistré pour la production de gélatine a été accordé en 1754.
À la fin du XVIIᵉ siècle, l’inventeur français Denis Papin avait découvert une autre méthode d’extraction de la gélatine en faisant bouillir des os. Il la voyait comme substitut de viande pour alimenter la population pauvre.
Au XIXᵉ siècle, l’administration favorisa la recherche de nouveaux types d’aliments économiques.
En 1812, le chimiste Jean-Pierre-Joseph d’Arcet s’intéresse particulièrement aux propriétés de la gélatine. Pour extraire cette matière des os, il se sert d’acide chlorhydrique puis adoptera la technique de l’extraction à la vapeur, méthode qui s’avère être d’une plus grande efficacité.
Le gouvernement français considérait la gélatine comme une source potentielle de protéines bon marché et accessible aux plus déshérités, en particulier à Paris. De nombreuses recherches furent entreprises, notamment de 1841 à 1846 par Claude Bernard, sur les conseils de son maître François Magendie, pour démontrer la nécessité d’une source externe d’élément azoté absent de la gélatine. Ces expériences furent peu concluantes, l’absence dans la gélatine de tryptophane (non fabriqués par l’organisme). Mais ceci ne fut compris qu’au début du XXe siècle.
À partir du milieu du XIXe siècle, Charles et Rose Knox de New York ont fabriqué et commercialisé de la poudre de gélatine, diversifiant l’attrait et les applications de cette substance.
En 1845, a été développé par l’inventeur américain Peter Cooper, de la gélatine servant de repas ou de dessert.
Les applications alimentaires en France et aux États-Unis au cours du XIXᵉ siècle semblent avoir établi la polyvalence de la gélatine, y compris l’origine de sa popularité aux États-Unis sous le nom de « Jell-O ».
Meat-biscuit – le biscuit de viande
Si la « soupe portative » fut fabriquée également en Russie au XIXᵉ siècle, aux États-Unis il fut produit le « meat-biscuit » un biscuit de viande, selon le procédé de Gail Borden.
En 1849, Gail Borden Junior (1801-1874) entame ses travaux sur la transformation du bœuf. Il base ses recherches sur un aliment séché traditionnel amérindien connu sous le nom de pemmican.
À partir de là, il développe du bouillon de bœuf déshydraté connu sous le nom de « meat-biscuit » (biscuit de viande).
Celui-ci est un bouillon de bœuf, décanté, dégraissé et réduit en sirop, mélangé à de la farine de froment pour former une pâte que l’on découpe en forme de biscuits rectangulaires avant la cuisson au four.
Le meat-biscuit se consommait soit sec ou, soit concassé dans de l’eau, additionné de sel et d’autres condiments, que l’on fait bouillir pendant une demi-heure.
Gail Borden a vendu certains de ses « biscuits de viande » aux chercheurs d’or de Californie qui avaient besoin d’une nourriture facilement transportable pouvant supporter des conditions difficiles. Il les vendit aussi à l’explorateur Elisha Kane pour son expédition en Arctique.
Le produit de Borden a remporté la médaille du Grand Conseil à l’Exposition universelle de Londres en 1851. Cependant, le marché qu’il visait était à destination des forces armées qui ayant besoin de nourriture aisément transportable et ne s’altérant pas ou peu.
Malgré une campagne promotionnelle auprès de différentes institutions, hôpitaux et navires, aucun contrat institutionnel ne fut concrétisé.
Non seulement les gens se sont plaints du goût et de la texture, mais l’armée américaine a conclu que les biscuits à la viande ne réduisaient pas la faim et rendaient même les gens malades.
Le pemmican
Mot amérindien d’origine Cri, le pemmican, est une recette constituée de graisse animale et de moelle animale, de viande séchée et réduite en poudre, ainsi que de baies. En mélangeant ces ingrédients, on obtient une espèce de pain ou pâté qui ne moisit pas et qui a même la réputation de pouvoir se conserver des dizaines d’années, voire plus.
Les ingrédients utilisés varient en fonction des disponibilités : bison, élan, wapiti ou autres cervidés pour la viande, baies d’amélanchier (saskatoon) le plus souvent, mais aussi cerises, groseilles, baies d’aronia et de canneberges pour les baies.
Le pemmican est surtout consommé en hiver. Pour des raisons de conservation, il fut souvent consommé lors des expéditions polaires. De nombreux héros de Jules Verne emmènent du pemmican dans leur paquetage pour leurs lointains voyages.
Il peut être apprécié tel quel, avec du pain, avec de l’eau chaude pour en faire une soupe, ou encore mélangé avec des pâtes ou des pommes de terre, en ragoût.
Le pemmican donna son nom à une guerre : La guerre du pemmican 1812-1821 opposant en Amérique du Nord la « Compagnie de la Baie d’Hudson » et la « Compagnie du Nord-Ouest » à l’occasion de la traite des fourrures. Les affrontements cessèrent avec la fusion des deux compagnies rivales.
Le pemmican complétait les rations militaires dont les fameuses rations K américaines et les rations de survie de l’armée française.