L’œuf en gelée, appelé fréquemment, jusqu’à la seconde moitié du XIXᵉ siècle, œuf à la gelée, est une entrée froide d’œuf mollet, poché ou dur pris dans une gelée clarifiée appelée aspic (d’où son autre appellation d’œuf en aspic), à base de bouillon de viande, servi le plus souvent en portion individuelle moulée, classiquement garni de jambon blanc et d’estragon.
Très rapidement, dans l’histoire de l’œuf en gelée apparaît, au début du XXᵉ siècle, sa forme aboutie qu’est l’œuf en gelée au jambon blanc et quitte son statut d’entremets pour devenir une entrée, un hors-d’œuvre. Dans les années 1930, il va devenir l’incontournable des charcutiers-traiteurs et des bistros dans son petit moule ovale typiquement francophone, avec la recette classique : œuf mollet, gelée, jambon blanc, estragon.
Les fiches techniques du livre « La cuisine de référence » (2015) donnent la recette canonique (catégorie œufs pochés servis froids) : œufs pochés à la gelée au Madère ou au Porto avec du jambon blanc. Décor : cerfeuil, estragon, tomate rouge, vert de poireau.
L’histoire de l’aspic
Un aspic est un plat froid comprenant divers ingrédients (viande, volaille, poisson, œufs, légumes et fruits), pris dans de la gelée fabriquée à partir de bouillon de viande, ou de consommé. La gelée d’un aspic peut être incolore (aspic blanc) ou contenir diverses nuances ambrées. La préparation en aspic initialement se fait pour protéger les aliments de l’air et des bactéries et ainsi les conserver plus longtemps, tout en leur gardant leur fraîcheur. Cette méthode peut être utilisée pour donner plus de saveur aux aliments ou comme décoration.
L’origine précise de l’utilisation de la gelée n’est vraiment documentée, ce que l’on sait, c’est que le Kitab al-Tabikh au Xᵉ siècle, le plus ancien livre de cuisine arabe connu, contient une recette d’aspic de poisson appelé qaris.
Au Moyen Âge, les cuisiniers avaient découvert qu’un bouillon de viande épaissi pouvait être transformé en gelée. Une recette détaillée d’aspic se trouve dans « Le Viandier », ouvrage écrit vers 1375.
Au début du XIXᵉ siècle, le chef français Marie-Antoine Carême invente, en plus d’autres recettes de gelée, le « chaudfroid », une sauce était liée avec de la gelée.
La préparation
La cuisson de l’œuf se fait pocher ou œuf mollet, le blanc est pris, le jaune est coulant. Très en vogue aujourd’hui, l’œuf parfait dont la cuisson se fait à basse température (autour de 64 °C, blanc tremblant, jaune coulant). La cuisson de l’œuf peut se faire aussi « cuit dur », privilégiée pour les petits œufs comme les œufs de caille et les œufs farcis.
Avant de déposer l’œuf dans le moule, on décore le fond du moule d’une première couche de gelée. Le démoulage est une opération délicate, on chauffe rapidement le moule dans l’eau chaude, on retourne et on démoule sur un tissu de façon à ne pas casser la gelée.
Les anciennes recettes pour préparer de la gelée de viande maison se composait généralement de jarret, pied de veau, pied de porc, carottes, oignon, aromates (estragon, persil, cerfeuil, laurier) et laisser cuire quelques heures puis éclaircir.
Aujourd’hui, le bouillon de base est fréquemment un bouillon de volaille et les gélatines en feuille ou en poudre ou l’agar-agar ont simplifié la manière de faire une gelée.
Malgré cela, il faut s’assurer que la gelée ne soit pas trop ferme, car le démoulage se fera avec des grumeaux et il restera de la gelée dans le moule. Elle doit donc être suffisamment ferme pour bien se tenir, mais rester fondante. La gelée s’aromatise au Porto, au vin blanc, au Xérès sec, par exemple.
La garniture la courante est le jambon blanc qui doit être bien rose, de type « jambon de Paris » découpé soit à l’ancienne, c’est-à-dire une rondelle de jambon qu’on pose au fond du moule, soit en lanière qui entoure l’œuf. Mais d’autre jambon comme le jambon d’York peuvent convenir.
Dans le Morvan, les « œufs au jambon » de Pâques se font de jambon cru, dessalé, cuit, qu’on mange chaud ou froid avec des œufs dans la gelée du court bouillon (recette proche du jambon persillé).
On peut ajouter au jambon des pointes d’asperges, des petits pois, etc. mais aussi le remplacer par d’autre viande comme la langue, le blanc de poulet, la truffe, du faisan ou du perdreau coupés en fine julienne. Plus récemment, poissons et crustacés se sont substitués au jambon, exemple du saumon fumé et des crevettes sur lesquelles l’aneth devient alors l’aromate de circonstance, mais l’accord le plus ancien reste œuf-estragon et apparaît dès 1909 dans la première recette de l’œuf en gelée au jambon.
Le moule à œuf en gelée standard est ovale (86 × 66 mm, hauteur 34 mm, soit 90 ml) est souvent en PVC, facile à démouler. Le moule médaillon (diamètre 70 mm, hauteur 35 mm) permet des jolis décors. Il existe aussi des moules en métal réutilisable, on peut utiliser une tasse, un verre, une timbale ou un ramequin, mais il existe des moulages en terrine ou en couronne.
Les œufs en gelée s’accompagnent traditionnellement de salade russe, salade de légumes, salade Rachel (salade d’automne, céleri-rave, truffe, fond d’artichaut, pomme, asperge, betterave, noix) ou une salade simple.
Un vin blanc sec plutôt jeune s’accorde avec les œufs en gelée, surtout avec l’estragon qui demande un vin aux aromes anisés : arbois blanc, minervois blanc, bourgogne blanc, pinot d’Alsace, mâcon blanc, pouilly-fumé, gaillac blanc, xérès fino. Les rouges légers et faciles : irancy, pinot-noir d’Alsace, fleurie. Si l’estragon est absent du muscadet ou encore du saké comme avec les œufs en gelée de dashi à l’agar-agar et des sakés de la région de Hokuriku.
Les variantes d’œuf en gelée
L’œuf en gelée connaît de nombreuses variantes comme : l’œuf en gelée au foie gras (avec truffe) ; l’œuf en gelée Fernande (œufs pochés avec une gelée au coulis de tomate), l’œuf en gelée à la Chivry (avec une mayonnaise à la purée d’épinard, cerfeuil et estragon cuits puis recouverts de gelée hachée) ; l’aspic d’œufs durs demi-deuil (alternance d’œufs et de truffes dans une gelée blanche à l’estragon) ; l’œuf en gelée aux chanterelles et poulet au Québec ; à la Moscovite ou à la russe : avec du concombre ou sur des barquettes de concombre ou encore avec des crevettes roses.
Et sans oublier les œufs pochés froids Stanley sont nappés d’une gelée avec une crème d’oignon, Prince Serge d’une mayonnaise collée à la gelée sur une julienne de filets de sole et cornichons, les œufs pochés Bellevue sont pris dans une gelée blanche, etc. qui préfigurent la sauce chaud-froid.
La sauce chaud-froid est une sauce généralement crémée liée à la gelée. Elle s’emploie en nappage et permet des décorations sur fond clair, ivoire.
L’Œuf Christian Dior
Le grand couturier français Christian Dior, grand amateur d’œufs sous toutes leurs formes, a laissé son nom à un œuf en gelée, appelé œuf Christian Dior ou Œuf Dior, dont il existe plusieurs recettes.
- Selon la brasserie du Plaza Athénée qu’il fréquentait en voisin, c’est un œuf dur farci de son jaune écrasé dans une mayonnaise aux crevettes.
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Selon d’autres sources, le plat préféré de Christian Dior aurait été l’œuf en gelée au caviar, mais l’idée de rapprocher œuf en gelée et caviar n’était pas si nouvelle, car déjà en 1907 A. Bautte en donne une recette. Quoi qu’il en soit, l’Œuf Dior aurait pour origine :
- soit un dîner chez lui, à Deauville, en compagnie d’Yves Saint-Laurent et Pierre Bergé où l’idée leur serait venue de poser une cuillerée de caviar sur un œuf en gelée,
- soit lors d’un dîner des anciens du Bœuf sur le toit. Le « Bœuf sur le toit » était un cabaret associé à un restaurant, rendez-vous de l’intelligentsia parisienne de l’entre-deux-guerres, mais aussi des musiciens de jazz qui y venaient après leurs services dans les autres clubs pour y jouer jusqu’à tard dans la nuit. De là vient l’expression « faire un bœuf » pour désigner une rencontre informelle entre musiciens qui jouent leur répertoire de manière décontractée.