Aux sources du concept de laïcité
« Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » ! Cette phrase prononcée par le Christ (Marc, XII, 13-17 ; Matthieu, XXII, 21 ; Luc, XX, 25) peut être interprétée comme l’établissement d’une séparation entre les domaines spirituel et civil. Il s’agissait de la réponse à la question de Pharisiens qui demandaient à Jésus s’ils devaient obligatoirement payer l’impôt à l’Empereur. Jésus leur demanda de lui montrer un denier, celui-ci ayant été frappé à l’image de César, c’est là qu’il prononça cette phrase devenue célèbre.
Le concept de laïcité, avant d’être un principe politique, la laïcité, est une « position de conscience » : est laïque la conscience critique ou l’esprit libre. C’est-à-dire être capable de prendre la distance du doute et de la remise en question vis-à-vis de toutes les convictions, vérités, visions du monde, qui la sollicitent.
On trouve les racines de ce concept dans les écrits des philosophes grecs et romains, tels que Socrate, Épicure ou Marc Aurèle ; chez les rationalistes du XVIIe siècle, Descartes et Spinoza ; chez les penseurs des Lumières comme Diderot, Voltaire, Montesquieu ; mais aussi chez le sage chinois Lao-tseu (milieu du VIe siècle av. J.-C. – milieu du Ve siècle av. J.-C.); ou encore dans un mouvement de pensée hébraïque des XVIIIe et XIXe siècles : la Haskalah (Éducation), fortement influencé par le mouvement des Lumières, fait référence aux Juifs laïcs ; mais aussi dans le monde arabo-musulman comme le sceptique arabe Ibn al-Râwandî (827 – 911), le médecin et chimiste perse Abû Bakr al-Râzi ou Rhasès (865-925) ou encore chez le philosophe arabo-andalou Averroès (1126-1198).
La laïcité politique ou neutralité de l’État est simplement l’objectivation de cette position critique de la conscience comme en France à travers les lois de Jules Ferry.
Définitions
Pour le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL), la laïcité est « le principe de séparation dans l’État de la société civile et de la société religieuse. La laïcité est un des grands principes sur lesquels repose, avec l’obligation et la gratuité, l’enseignement public français ».
Le mot désigne par extension le « caractère des institutions, publiques ou privées, qui, selon ce principe, sont indépendantes du clergé et des Églises ; impartialité, neutralité de l’État à l’égard des Églises et de toute confession religieuse. Laïcité de l’État, de l’école publique ».
Pour le dictionnaire Larousse, la laïcité est la « conception et l’organisation de la société fondée sur la séparation de l’Église et de l’État et qui exclut les Églises de l’exercice de tout pouvoir politique ou administratif, et, en particulier, de l’organisation de l’enseignement. (Le principe de la laïcité de l’État est posé par l’article 1er de la Constitution française de 1958.) »
Elle est le « caractère de ce qui est laïque, indépendant des conceptions religieuses ou partisanes : La laïcité de l’enseignement ».
On peut donc dire qu’en France, la laïcité s’appuie essentiellement sur trois piliers : la neutralité de l’État, la liberté de conscience et le pluralisme. Cet ensemble de principes, relatifs à la place du fait religieux dans la société, repose en partie sur l’obligation et la gratuité de l’enseignement public ; où « la transmission du savoir » et « la neutralité devait être préservée et l’égalité entre les filles et les garçons absolument défendus ». La laïcité s’oppose à la reconnaissance d’une religion d’État.
Les Chartes de la laïcité
Une charte de la laïcité est un document proposé par un parti politique ou publié par un gouvernement pour éclaircir les valeurs à respecter dans certains lieux publics (établissements scolaires, services publics) pour ne pas en heurter le caractère laïc.
En France, il existe un certain nombre de documents et de chartes encadrant et définissant la laïcité.
La Charte de la laïcité
Charte de la laïcité, établie en 2019 par Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, demande aux organisateurs d’activités des associations subventionnées d’être respectueux du principe de laïcité. Il en existe de nombreuses déclinaisons régionales.
https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2020/02/charte_de_la_laicite_egalite_f-h_odl.pdf
La Charte de la Laïcité à l’École
Une charte a été publiée le 9 septembre 2013 par le ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon.
https://www.education.gouv.fr/sites/default/files/2020-02/charte-de-la-la-cit-simplifi-e-43562.pdf
La Déclaration universelle sur la laïcité au XXIe siècle
Rédigée à l’occasion du centenaire de la loi de 1905, la « Déclaration universelle sur la laïcité au XXIᵉ siècle », a été signée par plus de 200 universitaires de 29 pays. Elle professe une évolution de la laïcité, dynamique et inventive qui donnera une réponse démocratique aux principaux défis du XXIe siècle. Cela lui permettra d’apparaître réellement comme un principe fondamental du vivre-ensemble.
Adopté par des organisations françaises (CNAL, FCPE, FSU, MAIF, MGEN, Ligue de l’enseignement, LDH, SGEN, UNSA, etc.) et la Fédération humaniste européenne, cet appel pour une laïcité à l’échelle du monde pose la question de la spécificité française en Europe. Assurer la liberté de conscience nécessite de développer l’esprit critique et son exercice, notamment au travers de l’acquisition des connaissances : cela demeure la responsabilité de l’École publique, seule école de la République…
https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2018/01/declaration_universelle_sur_la_laicite_au_xxie_siecle.pdf
Les Valeurs de la république – textes de référence
Les valeurs de la République ont d’abord été définies par la devise de la République : « Liberté, Égalité, Fraternité », présente en 1848, puis ornant les bâtiments publics à partir de 1880. Depuis une dizaine d’années, des propositions d’ajout de « laïcité » à la devise sont formulées. L’évolution de la démocratie française a mis également en avant de nouvelles valeurs. Le programme du nouvel Enseignement moral et civique donne la liste suivante des valeurs de la République : « Ces valeurs sont la liberté, l’égalité, la fraternité, la laïcité, la solidarité, l’esprit de justice, le respect et l’absence de toutes formes de discriminations. » Ces valeurs de la République se sont incarnées dans de grands textes de loi, dans des institutions, et se sont exprimées dans des moments privilégiés de notre histoire.
https://www.elysee.fr/la-presidence/liberte-egalite-fraternite
Les sources constitutionnelles dans
Article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 1789 (DDHC)
« Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ». Ce texte historique n’évoque pas la laïcité, mais il protège la liberté religieuse. Cette liberté n’est cependant pas sans limites. Il est interdit de nuire à autrui et il est nécessaire de respecter l’ordre public dans l’exercice de cette liberté.
https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789
Article 1er de la Constitution
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».
La laïcité est citée explicitement dans le premier article de la Constitution. Cet article premier évoque également l’égalité juridique entre les hommes, quelle que soit leur croyance.
https://www.vie-publique.fr/dossier/20199-letat-et-les-cultes-laicite-et-loi-de-1905
Les sources législatives essentielles
Les lois scolaires de la IIIᵉ République
Les deux grandes lois de Jules Ferry (1881-1882) couronnent l’effort scolaire du XIXe siècle tout en fondant la laïcité scolaire. L’école primaire publique est gratuite (16 juin 1881), l’enseignement est laïque et la scolarisation obligatoire (28 mars 1882). Cependant, la liberté de l’enseignement est maintenue et un enseignement privé demeure. http://www.senat.fr/evenement/archives/D42/1882.html
Une troisième loi viendra compléter ce dispositif avec la loi du 30 octobre 1886 sur l’organisation de l’enseignement primaire (dite loi Goblet qui laïcise le personnel enseignant). Un ecclésiastique ne peut désormais plus enseigner dans une école publique. http://dcalin.fr/textoff/loi_goblet_1886.html
La loi du 9 décembre 1905 portant séparation des églises et de l’État
Napoléon avait signé avec le pape Pie VII un Concordat en 1801 : la religion catholique était reconnue par l’État comme « la religion de la grande majorité des Français » et financée par lui, mais n’était plus religion d’État. Par la suite, les protestants et les juifs avaient été intégrés au système concordataire.
Concluant un affrontement violent qui a opposé deux conceptions sur la place des Églises dans la société française pendant presque vingt-cinq ans, la loi concernant la séparation des Églises et de l’État est adoptée le 9 décembre 1905 à l’initiative d’Aristide Briand. Elle abroge le régime du concordat de 1801, qui est cependant resté en vigueur en Alsace-Moselle pour des raisons historiques (ces régions étaient intégrées au Reich Allemand entre 1870 et 1918, ont gardé un certain nombre de dispositions du code napoléonien dont le concordat).
La loi de 1905 sera complétée en 1924 par l’autorisation des associations diocésaines soumises à l’autorité de l’évêque. Car depuis août 1906, le pape Pie X avait interdit aux fidèles de créer des associations cultuelles par son encyclique Gravissimo officii muneren qui affirme qu’il est « absolument impossible de créer des associations cultuelles sans violer les droits sacrés touchant à la vie même de l’Église ». L’opposition du pape à la loi française aura pour conséquence le transfert, dès 1907, des presbytères, séminaires et palais épiscopaux au profit de l’État.
L’apaisement viendra donc en 1924 quand le gouvernement acceptera d’autoriser la création d’associations diocésaines soumises à l’autorité de l’évêque et sera pleinement acceptée par l’Église catholique par l’encyclique du pape Pie XI Maximam Gravissimamque du 18 janvier 1924. Le 8 juillet 1941, une loi permet aux associations cultuelles, après autorisation administrative, de recueillir des dons et legs.
Le principe constitutionnel de laïcité se traduit principalement dans la loi du 9 décembre 1905 de séparation des églises et de l’État. Sans se référer explicitement à la laïcité, la loi de 1905 fixe le cadre de la laïcité qui est fondée sur deux grands principes : la liberté de conscience et le principe de séparation des églises et de l’État. Cette séparation est liée à la neutralité de l’État.
Article 1er : « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public ».
Article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».
La loi de 1905 est avant tout une loi de liberté, puisqu’elle pose comme premier principe celui de la protection de la liberté de conscience et la liberté religieuse.
https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070169/2008-03-06/
La loi du 15 mars 2004 interdisant le port des signes religieux ostensible à l’école publique
Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, la loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse, tels que le voile islamique, la kippa, une croix de dimension importante ou le turban sikh, mais ils peuvent porter des signes discrets tels qu’une médaille. Le motif réside dans la réaffirmation du principe de laïcité à l’école, lieu privilégié d’acquisition et de transmission des valeurs communes.
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000417977/
La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires
L’article 1er de la loi du 20 avril 2016 dispose qu’un fonctionnaire « exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité », et à ce titre, il doit « s’abstenir de manifester, dans l’exercice de ses fonctions, ses opinions religieuses ». Cette règle était reconnue par la jurisprudence (cf. avis CE, 3 mai 2000, Demoiselle Marteaux). https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032433852/
Les sources jurisprudentielles
Par sa décision du 21 février 2013, le Conseil constitutionnel a jugé que la loi du 18 germinal an X (8 avril 1802) qui prévoit le financement par l’État de la rémunération des ministres du culte protestants n’est pas contraire à la Constitution.
https://legirel.cnrs.fr/spip.php?article527
À cette occasion, le juge constitutionnel a précisé les contours de la laïcité, opération rarement tentée par le droit positif. Plutôt qu’une définition, le Conseil constitutionnel préfère indiquer certaines des conséquences du principe de laïcité : « il en résulte la neutralité de l’État ; il en résulte également que la République ne reconnaît aucun culte. »
Le principe de laïcité impose notamment le respect de toutes ses croyances, l’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction de religion et que la République garantisse le libre exercice des cultes ; il implique que [la République] ne salarie aucun culte ». En revanche, le Conseil ne mentionne pas comme une conséquence du principe de laïcité le fait que « La République ne subventionne aucun culte » (article 2 de la loi de 1905). Cette abstention signifie que le non-subventionnement n’a pas valeur constitutionnelle et confirme la faculté pour les collectivités locales d’accorder certains types d’aides aux cultes.
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2013/2012297QPC.htm
Dans un avis du Conseil d’État, Demoiselle Marteaux du 3 mai 2000, à propos d’une surveillante d’externat portant le foulard islamique, mais dont la portée s’étend à l’ensemble des fonctionnaires et des agents publics, le juge administratif a indiqué que le principe de neutralité du service public et le principe de laïcité font obstacle à la manifestation de toute croyance religieuse de la part des fonctionnaires et des agents publics.
https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000008001769/
Source : Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l’Intérieur
L’Observatoire de la laïcité
L’Observatoire de la laïcité, créée le 25 mars 2007 par le président de la République Jacques Chirac, est une commission consultative chargée de conseiller et d’assister le Gouvernement quant au respect et à la promotion du principe de laïcité. Elle est composée de 23 membres, dont des parlementaires de la majorité et de l’opposition, des hauts fonctionnaires et des personnalités qualifiées. Administrativement rattaché au Premier ministre, l’Observatoire est cependant autonome dans ses travaux.
Outre son rôle de conseil via l’adoption d’avis officiels, consultatifs pour le Gouvernement et le Parlement, les membres de cette instance organisent, coorganisent ou délivrent chaque semaine des formations à la laïcité et à la gestion des faits religieux partout en France et dans différents secteurs, notamment dans la fonction publique, l’éducation populaire, le médico-social, le socio-éducatif, les entreprises privées, l’éducation nationale et le sport.
https://www.gouvernement.fr/observatoire-de-la-laicite