La Fédération gymnastique et sportive des patronages de France

En 1891, l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII légitime et conforte les patronages paroissiaux catholiques qui développent une tradition de jeux de course, ballons et échasses puis de gymnastique depuis près d’un siècle. Peu de temps après, l’anticléricalisme relayé par l’Union des sociétés de gymnastique de France (USGF) incite l’épiscopat français à envisager le regroupement de ses fidèles gymniques au sein d’une organisation spécifique. C’est chose faite en 1898 grâce au docteur Paul Michaux qui obtient, fin 1897, de la commission des patronages la création d’une Union des sociétés de gymnastique et d’instruction militaire des patronages et œuvres de jeunesse de France (USGIMPOJF) remplacé, en octobre 1901, par une Fédération des sociétés catholiques de gymnastique (FSCG).

Comme ses deux sigles initiaux le montrent bien, c’est avant tout une fédération gymnique, donc concurrente de l’Union des sociétés de gymnastique de France, cette dernière étant proche de la Ligue des patriotes et de la Ligue de l’enseignement qui s’affirment toutes deux laïques, voire anticléricales.

Cette institution poursuit des buts certes apostoliques, mais aussi hygiénistes (conformément aux idées développées alors par les grands physiologistes tels que Claude Bernard, Étienne Marey ou Paul Bert) et patriotiques suite aux réactions consécutives à la défaite française de 1870. Pour ces deux objectifs, la gymnastique déjà pratiquée dans les patronages depuis Timon-David s’impose, car le ministre Paul Bert lui donne mission de combler le fossé de plusieurs années entre les bataillons scolaires de l’école primaire obligatoire quittée à 13 ans et l’incorporation dans l’armée. À cette fin, tout instituteur passe, au cours de son service, trois mois dans l’école normale militaire de gymnastique de Joinville vouée à l’escrime et la gymnastique.

Néanmoins, le sport fait rapidement son apparition avec la prise en compte du football dès 1901 et de la course à pied en 1903. La fédération en prend acte et le 14 décembre 1903, elle devient Fédération gymnastique et sportive des patronages de France (FGSPF). Cette même année paraît le premier numéro du journal Les Jeunes. L’année 1904 voit le premier cross et le premier championnat fédéral d’athlétisme à Saint-Cloud, puis le premier congrès fédéral de la Commission des patronages. Le journal Les Jeunes, d’abord simple encart de la revue Patronage, devient autonome et hebdomadaire à partir de mars 1905. Le 15 juillet, la fédération emménage dans ses premiers locaux au 5 place Saint-Thomas-d’Aquin ; Léon Lamoureux prend en charge l’administration le 14 novembre, vite secondé par Charles Simon.

La gymnastique, le football, la guerre (1898-1918)

Cependant, la gymnastique reste bien l’occasion d’inscrire les catholiques dans le contexte patriotique et les grands concours qui préexistaient se multiplient, attirant à Paris des associations de province, mais le développement de la fédération reste limité jusqu’en 1906. En 1908, l’hostilité des pouvoirs publics et des autres fédérations à l’égard des associations ayant répondu à l’invitation du pape pour participer aux concours de gymnastique de Rome en 1906 déclenche leur adhésion massive à la FGSPFG. Par exemple, la région lyonnaise, qui possède sa propre Fédération des sociétés catholiques de gymnastique du Rhône et du sud-est, y adhère cette année-là.

Cette situation, qui irrite les anticléricaux, n’est pas sans risques. Si en septembre 1904 les troupes de l’abbé Deschamps se permettent de raccompagner Émile Combes, président du Conseil, à la gare d’Auxerre avec des clochettes et des sifflets, le 8 juin 1907, la Saint-Joseph des Épinettes laisse un mort et deux blessés graves sur le terrain. Le 11 juillet 1911, le concours de Roubaix mobilise 50 000 spectateurs et 8 000 gymnastes, mais aussi 3 000 opposants anticléricaux et 400 gendarmes qu’il faudra renforcer de deux escadrons de dragons et de deux brigades de police. C’est la guerre et la situation perdure, car trois semaines avant la déclaration de la Grande Guerre, le 12 juillet 1914 à Roanne, un préfet zélé mobilise l’armée et fait charger un défilé par la garde mobile au prétexte que des prêtres l’accompagnent. Néanmoins, les ralliements se multiplient, en particulier en province et, le 8 octobre 1910 à Chantilly, c’est une société de Bordeaux, La Flèche, qui remporte le premier championnat fédéral de gymnastique. L’année suivante, 43 unions régionales et 1 250 sociétés affiliées participent au 9e congrès fédéral.

Par solidarité avec les provinces françaises annexées à l’Allemagne, deux concours sont organisés à Nancy en 1907 puis en 1911. Lors du second, des sociétés d’Alsace, de Belgique, de Hollande, d’Irlande, d’Italie et du Canada sont invitées. À cette occasion, la FGSPF rassemble 8 500 athlètes dans la capitale lorraine. Les 25 délégations étrangères constituent sur place l’Union internationale des œuvres catholiques d’éducation physique (UIOCEP) qui devient, en 1947, la Fédération internationale catholique d’éducation physique et sportive (FICEP). En décembre 1911, cette union se réunit à Rome pour établir ses statuts avec les encouragements de Pie XI.

En douze ans, la FGSPF a su fédérer l’essentiel des patronages des paroisses et des congrégations à vocation caritative. Mais ceux qui sont apparus au sein des établissements des ordres enseignants s’adressant aux élites sociales restent encore le plus souvent hors de son influence. Souhaitant établir grâce au sport un lien fort entre la jeunesse ouvrière et la jeunesse instruite, elle est la première fédération française à se préoccuper de sport scolaire à travers son Union gymnastique et sportive de l’enseignement libre créée le 10 février 1911 avec René Barbier de la Serre, déclarée le 29 mars 1911 et devenue l’Union générale sportive de l’enseignement libre (UGSEL) en 1935. La conquête de ce secteur s’avère laborieuse, car il est déjà largement prospecté par l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques (USFSA) depuis plus de 20 ans, comme en témoigne l’histoire du père Henri Didon et de son institut Albert-le-Grand d’Arcueil. La FGSPF, qui compte 13 clubs affiliés fin 1898, en enregistre 1 504 en 1914 contre respectivement 1 100 et 1 700 à ses rivales l’USGF et l’USFSA.

Pour le docteur Michaux, sous-tendu par l’espoir de reconquérir l’Alsace et la Lorraine, la préparation militaire et le tir sont aussi une priorité fédérale : en 1914, un lauréat sur trois du Brevet d’aptitude militaire l’a préparé au sein de la FGSPFG. Celle-ci perd 25 000 de ses adhérents, tombés au champ d’honneur durant la Première Guerre mondiale, parmi lesquels beaucoup de cadres et de prêtres-directeurs. En novembre 1914, Paul Michaux estime que plus de 50 000 jeunes des patronages sont présents sous les drapeaux. La FGSPF n’interrompt cependant pas ses activités, et Paul Michaux peut organiser le premier concours d’après-guerre dans une grande ville redevenue française : 7 000 gymnastes venus de tout l’hexagone se retrouvent à Metz dès le 4 août 1919.

La majorité des groupements sportifs français — y compris de nombreux patronages et établissements scolaires religieux — adhère longtemps à l’USFSA qui dispose de commissions spécialisées pour chaque discipline. Ses dirigeants, férus de football-rugby, s’avèrent plus réticents vis-à-vis du football-association qui mobilise déjà des sportifs professionnels outre-Manche, mais qui est aussi largement pratiqué dans les cours des presbytères et dont la nouvelle Fédération des sociétés catholiques de gymnastique (FSCG) ne peut plus se désintéresser depuis qu’elle en a fait état dans son bulletin de janvier 1900 et organisé de premières rencontres l’année suivante. C’est peut-être pour affirmer sa légitimité à s’en préoccuper qu’elle prend en 1903 le nom de Fédération gymnastique et sportive des patronages de France et organise dès l’année suivante son propre championnat de France de football FGSPF qui connaît dix saisons pour s’interrompre avec la guerre puis s’effacer au profit de la création de la coupe Charles Simon en 1917. Seul persiste alors un championnat fédéral.

Les difficultés s’accumulant, c’est son secrétaire général, Charles Simon qui est à l’initiative de la fondation du Comité français interfédéral (CFI) en 1907. Il reçoit alors l’adhésion individuelle de membres de l’USFSA favorables au football. Le premier championnat du CFI en 1907 est doté d’un trophée offert par Pierre de Coubertin lui-même : le bouclier de Brennus. Les nouvelles adhésions ne sont pas désintéressées : l’USFSA ayant quitté avec fracas en 1908 la Fédération internationale de football association (FIFA), Simon y a immédiatement affilié le CFI, devenu le seul organisme à y représenter la France. En 1912, celui-ci décide de limiter strictement son champ d’action au seul football-association.

Le siège du CFI est toujours celui de la FGSPF : 5 place Saint-Thomas-d’Aquin à ParisH. Le 15 juin 1915, Charles Simon tombe au champ d’honneur et Henri Delaunay lui succède dans ses fonctions à la FGSPF et au CFI. Ceux-ci décident le 5 janvier 1917 de donner le nom du héros disparu à la Coupe de France de football. Le 7 avril 1919, le CFI devient Fédération française de football (FFF) sous la présidence de Jules Rimet et le secrétariat général d’Henri Delaunay qui cède sa place à la FGSPF à Armand Thibaudeau, lui-même aux origines de la Fédération française de basket-ball (FFBB).

Si la FGSPF fournit, à l’occasion du conflit, une partie de ses cadres à l’armée française grâce à son engagement préalable à l’égard de la préparation militaire, les plus jeunes participent activement pendant ce temps à l’effort national. La FGSPF fournit au ministère de l’Agriculture des contingents de jeunes citadins pour assurer les travaux des champs. Sur Paris, elle sait mobiliser sur simple appel les équipes de brancardiers indispensables à l’accueil des blessés dans les gares de la capitale.

La victoire de 1918 a coûté à la FGSPF 24 000 tués et 60 000 blessés. Les deux tiers de ses 110 000 membres ont reçu la croix de guerre.

L’après-guerre – Éducation physique et sportive, culture et jeunesse

L’apparition des fédérations sportives spécialisées après la Première Guerre mondiale ne semble pas lui poser de problèmes, contrairement à l’USFSA qui disparaît de la scène nationale. La FGSPF connaît même alors un développement exceptionnel, dans le domaine du basket-ball en particulier.

Le basket-ball

La FGSPF est agréée dès 1922 et ses associations reçoivent agréments et subventions du Ministère de la Guerre sous réserve d’assurer prioritairement la gymnastique et la préparation militaire. En dépit de critiques qui commencent à s’élever dans certaines sphères progressistes du clergé contre « le sport à goût de guerre », c’est le départ d’une ère particulièrement faste : entre la récente disparition de l’USFSA et le développement encore balbutiant des fédérations unisports, auquel elle participe largement pour le football et le basket-ball, elle est la première fédération sportive française. En 1928, 1 500 de ses 2 500 associations sont agréées et le 26 avril, elle est admise au Comité national des sports. Elle assume ce statut en étant à l’initiative des grandes innovations de l’entre-deux-guerres : assurance sportive en 1924, certificat médical en 1930 à l’initiative du docteur Récamier, brevet sportif populaire, brevets du footballeur et du basketteur-athlète.

Les sports se développent et plus particulièrement le basket-ball dans lequel la FGSPF s’investit particulièrement dans ce nouveau sport qui se structure d’abord en 1920 au sein de la Fédération française d’athlétisme (FFA) née de l’éclatement de l’USFSA dès la fin de la guerre. La même année apparaît le premier championnat fédéral dans cette discipline.

La culture

Issue du mouvement des patronages, la FGSPF ne peut se désintéresser de la culture et en particulier du théâtre et du cinéma, fortes parties de l’activité des patronages dès leur origine au XIXᵉ siècle, mais, par souci de non-concurrence, elle ne structure pas ces domaines qui relèvent encore de l’Association théâtrale des œuvres catholiques d’éducation populaire (ATOCEP) et de la Fédération loisirs et culture cinématographiques (FLECC) qui gèrent ce champ d’activité. Il en est de même pour les colonies de vacances qui fleurissent avec les premiers congés payés dès 1922 et l’action de Marc Sangnier (1873-1950) au niveau des auberges de Jeunesse (AJ) à partir de 1929 et parfois des troupes scoutes rattachées localement aux patronages. Il appartient alors au president de l’époque d’entretenir de bonnes relations avec ces divers organismes étroitement mêlés à la vie quotidienne des associations affiliées. Il faut cependant attendre 1968 pour que la Fédération sportive et culturelle de France (FSCF) prenne officiellement en charge ces activités bien présentes dans les patronages dès leurs origines.

Éducation physique et sportive

La FGSPF suit aussi le développement du sport scolaire qui nécessite de donner toute son autonomie à l’Union gymnastique et sportive de l’enseignement libre qui devient l’UGSEL peu avant la guerre. À côté de la gymnastique et du sport elle se préoccupe aussi d’éducation physique extrascolaire 15 et crée en 1935 une commission d’éducation physique qui élabore aussitôt une fiche et un certificat d’éducation physique inspirés de Georges Hébert préfigurant le Brevet sportif populaire (BSP) institué par Léo Lagrange deux ans plus tard. La même année se déroule en Tarentaise le premier concours catholique de skieurs organisé par l’union régionale Ain-Savoies.

Éducation populaire

Elle accompagne le passage parfois délicat des cercles d’études traditionnels, où toutes les classes sociales de la paroisse se côtoient, vers la nouvelle action catholique spécialisée, Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), Jeunesse agricole catholique (JAC), Action catholique ouvrière (ACO). Afin de faire entendre sa voix, elle organise et entretient un véritable réseau de communication soutenu par des actions de promotion. Véritable pivot de tout un champ d’éducation populaire, reconnue d’utilité publique par le décret du 31 mars 1932 et bénéficiant de l’appui de la hiérarchie catholique, elle va devoir affronter à nouveau la guerre.

Guerre et après-guerre

Dès le 4 octobre 1940, la nouvelle réglementation induite par la Charte des sports contraint le Rayon sportif féminin (RSF) à fusionner avec la FGSPFJ. L’Occupation ayant scindé la France en deux, l’Union régionale lyonnaise devient le centre et le moteur de la FGSPF en zone libre. Puis la FGSPF doit adopter le 24 octobre 1942 le sigle imposé par les pouvoirs publics d’Union gymnique et sportive des patronages de France (UGSPF). À la Libération, elle reprend son titre de façon éphémère pour le troquer contre celui de Fédération sportive de France (FSF) en 1947.

La Fédération sportive et culturelle de France

Si la FGSPF puise ses lointaines origines dans le christianisme social du XIXe siècle, elle doit sa véritable reconnaissance nationale à sa participation active — à travers la gymnastique et la préparation militaire — à l’important effort de redressement national qui caractérise les débuts du XXe siècle, dans un contexte délicat pour elle, car bien marqué par l’anticléricalisme alors qu’une partie du clergé émet de fortes réserves eu égard à son militarisme militant. Elle contribue cependant déjà à l’éclosion des sports et plus particulièrement du football ainsi qu’à la fondation de la Fédération internationale catholique d’éducation physique et sportive.

Bénéficiant de la reconnaissance d’utilité publique par décret du 31 mars 1932, elle connaît entre les deux guerres un développement exceptionnel qui en fait alors un temps la première fédération française. Elle change de nom peu après la Libération pour devenir la Fédération sportive de France, mais ses associations, jusqu’ici intimement liées aux paroisses, se trouvent alors souvent confrontées à une mise à distance par celles-ci. Afin de mieux les assurer de son soutien, la FSF, qui s’est jusqu’ici limitée à la seule organisation des pratiques sportives, prend à son compte l’ensemble des activités des patronages et change à nouveau son nom pour celui de Fédération sportive et culturelle de France en 1968.

Quelque peu contestée au sein du monde catholique lors de la mise en œuvre du concile Vatican II, elle ressent aussi la nécessité de se définir clairement à travers un document d’orientation fondamental où, sans renoncer à ses références initiales, elle se fixe aujourd’hui pour but la formation de citoyens (hommes et femmes), acteurs responsables des modifications de la société. Elle reste clairement d’obédience chrétienne catholique, mais accueille tous les publics dans un esprit d’ouverture laïque : respect, partage et prise en compte de chacun dans l’acceptation et l’expression fondamentale de sa personnalité.

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