Les vieux soldats ne meurent jamais

À la suite du décès de notre père, survenu en février 2012, ma mère à souhaiter vendre la maison familiale devenue trop grande pour elle seule et s’éloigner d’un lieu rendu trop pesant. Il fallut déménager. Chaque meuble, chaque carton exhumait son lot de souvenir et parfois des choses inattendues, comme ce brouillon découvert fortuitement. Il s’agit d’une réflexion ou d’une note à un destinataire inconnu rédigée par mon père après sa venue aux journées romaines d’Autun en juillet 2011, que j’ai retranscrit ci-dessous. Ce petit texte fait le lien entre deux univers : le sien, celui des soldats, des Anciens Combattants, du souvenir, du devoir de mémoire et le nôtre, celui de l’histoire vivante, de la médiation culturelle, de la Culture et de la transmission des connaissances.

Mais avant de le lire, il faut replacer les choses dans leur contexte afin de mieux comprendre la surprise que fut cette trouvaille pour nous, ses enfants, tant l’homme était secret et de mieux cerner sa pensée qui souvent était en avance sur son temps.

Parachutiste pendant la guerre d’Algérie, commando de chasse, 6 parachutages opérationnels, 200 héliportages, plusieurs blessures dont une grave survenue le 2 avril 1961 à Mac Mahon en Algérie. Une rafale en pleine poitrine, lors d’un assaut sur une mitrailleuse, lui a laissé une cicatrice de plus 1 m de la thyroïde jusqu’au bas du poumon gauche. Opéré en Algérie par un des chirurgiens militaires qui avait été à Dien-Bien-Phu et après un an d’hôpital du Val de Grace, il fut rendu à la vie civile.

Vie civile, qu’il consacra au monde des Anciens Combattants, à la reconnaissance des anciens d’Algérie et l’obtention de leurs droits à réparation.

Membre fondateur du groupe l’Union Nationale des Combattants (UNC) du département de l’Aube (10), président départemental puis membre du bureau national, responsable des Anciens Combattants du quart nord-est, de la fédération nationale de l’UNC. Ces diverses fonctions lui permirent de côtoyer bon nombre de ministres comme Pierre Mesmer ou Robert Galley dont il était proche, ou des gens de la société civile comme Michel Baroin (père du ministre) ancien barbouze devenu industriel et grand maître du Grand Orient de France. Également, ses responsabilités lui permirent d’être au côté de personnalités marquantes des différents conflits, de la seconde guerre mondiale à l’Algérie en passant par l’Indochine ou la Corée tels les Généraux Bigeard et Massu ou encore Lucie Aubrac, Mesdames les maréchales Leclerc et Delattre avec lesquels plusieurs fois, il alla rallumer la flamme du soldat inconnu sous l’arc de triomphe à Paris. Il faut bien avouer ici qu’il ne fut pas facile de vivre et de grandir dans l’ombre de ce monument.

Sa vie durant, il s’est battu à faire reconnaitre le droit à Reconnaissance et à Réparation des anciens combattants et à faire reconnaitre les portes drapeau des associations patriotiques pour leur dévouement. Il était à l’écoute des plus anonymes, de toutes les générations d’Anciens Combattants, y compris « des vieux de 14 » comme il se disait, receveur de leurs confidences et de leurs souffrances parfois.

Très attaché au devoir de mémoire et à sa transmission aux jeunes générations, il s’est toujours battu pour la reconnaissance des porte-drapeaux des Anciens Combattants, silhouette caractéristique et silencieuse, présente inlassablement été comme hiver à toutes les cérémonies de commémoration, représentant les Anciens Combattants, certes, mais aussi la nation rassemblée derrière eux afin que la flamme du souvenir ne s’éteigne jamais.

La présentation ne serait pas complète sans dire qu’une rue porte son nom et sans parler bien sûr de ses décorations. En un mot, il les avait toutes, il fut l’un des plus décorés de sa génération. Pour ne citer que les principales

  • Légion d’honneur
  • Médaille militaire
  • Mérite national
  • Croix de la valeur militaire avec palme
  • Croix de combattant volontaire
  • Croix du combattant
  • Médaille du titre de reconnaissance de la nation
  • Médaille du maintien de l’ordre en Algérie
  • Médaille des blessés
  • Croix du combattant de l’Europe

Maintenant, je vous demande de garder en mémoire que le texte qui suit est écrit par un ancien combattant de la guerre d’Algérie s’adressant peut-être à un autre.

Son fils

Les vieux soldats ne meurent jamais

Si Autun, petite ville de Saône-et-Loire, est très connue pour son évêque, Talleyrand, que ses homélies et critiques de Napoléon Ier ont rendu célèbre. Autun, c’est aussi une ville aux riches monuments gallo-romains avec ses remparts, 2 de ses 4 portes d’Arroux et Saint-André avec leurs galeries aériennes puis son théâtre, un des plus grands d’Europe et enfin le temple dit de Janus. C’est sur ces trésors archéologiques que la Légion VIII Augusta s’est installée.

Ayant passé quelques jours au sein de cette Légion VIII, je me suis rendu compte que peu de choses nous différenciait avec notre époque.

  • Installation du camp
  • La garde et sa relève
  • La discipline

Le plus jeune à 17 ans, le plus âgé 67. Ce qui représente parfaitement l’échelle d’âge dans les légions. À l’époque, on s’engageait à 17 ans pour 25 ans minimum. Souvenez-vous, plusieurs de notre génération se sont engagés à 18 ans pour une carrière de 37 ans ½.

À Rome, les porte-étendards étaient récompensés et honorés. Leur rôle était des plus importants dans toutes les manifestations. À leur vue, chacun savait quelle personnalité était présentée et quelles légions partageaient les honneurs.

Pensez que les frontières de l’empire allaient de Londres à Byzance, de l’Afrique du Nord (Aurès) jusqu’à Munich. Qui donc pouvait garder un tel territoire ?

Les légions qui étaient composées de gaulois, d’anglais, d’africains, mais peu d’italiens ou d’habitants de Rome. En fait, c’était déjà une légion étrangère, la 1ʳᵉ.

Aujourd’hui, qui fait revivre la légion romaine ?

Des professeurs, des ingénieurs atomistes, des directeurs de laboratoires, des banquiers, des gendarmes, des policiers, des fonctionnaires, des ouvriers. Tous ces gens font des reconstitutions archéologiques tant en France qu’à l’étranger, Italie, Espagne, Angleterre, Danemark, Belgique, Allemagne, partout ou les légions ont vécu. L’un d’eux me disait « nous avons le devoir de mémoire ». Il faut que chacun sache qui étaient les légions, leurs conquêtes, leurs constructions, leur administration. Comment ils ont enrichi le pays où ils vivaient. Les villes battirent le commerce de l’eau.

À l’instar des légions romaines, nous aussi, avons le devoir de mémoire. Petit à petit, les Anciens Combattants disparaissent par la loi de la nature. Nous héritons donc de leur passé, de leurs sacrifices (chaque génération a eu ses morts, c’est aux Anciens Combattants, aux nouvelles générations d’expliquer pourquoi ils ne sont pas morts pour rien).

Alain Baujot-Julien

automne/hiver 2011

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