La lessive de Berthollet ou l’eau de Javel

L’eau de Javel (appelée aussi javel) est une solution liquide oxydante dite « chlorée », bien connu des familles et fréquemment utilisée comme désinfectant et comme décolorant. Cependant, l’eau de Javel n’est pas un détergent, et ne lave donc pas.
La fabrication de l’eau de Javel se fait à partir de dichlore et de soude dont la réaction chimique est dite « exothermique » c’est, c’est-à-dire qu’elle génère de la chaleur et s’écrit :
Cl2 (dichlore) + 2 NaOH (soude caustique) →donnant NaClO (hypochlorite de sodium) + NaCl (sel – chlorure de sodium) + H2O (eau). Autrement dit, une solution d’hypochlorite de sodium et d’eau salée.
L’eau de javel est un biocide à un large spectre désinfectant. Grâce à son pouvoir oxydant, il est utilisé comme bactéricide, sporicide, fongicide et virucide.

Histoire de la javel

L’histoire de l’eau de javel commence en 1774 par la découverte du Chlore par chimiste suédois Carl Wilhelm Scheele et lui est intimement liée. Quelques années plus tard, le chimiste Claude-Louis Berthollet étudie les propriétés décolorantes du chlore et en tire un procédé de blanchiment des toiles utilisant une solution de chlorure et d’hypochlorite de potassium. Il vient d’inventer la « lessive de Berthollet », rapidement dénommée « eau de Javel » du fait de la localisation de son premier site de production (1777) situé quartier de javel à Paris.

Au sud ouest de Paris, le quai de Javel.

Petite histoire du mot javel : le nom de l’eau javel vient du nom du lieu où elle était fabriquée à l’origine à la fin du XVIIIᵉ siècle, dans le quartier de Javel à Paris. Le mot Javel en lui-même vient du nom « Javetz » donné au quartier au XVe siècle. Les « Javetz » étaient le nom que l’on donnait aux iles éphémères de la Seine formées au rythme des crues et des décrues. Au fil des siècles, « Javetz » devint « javeaux » donnant au singulier « javeau » pour devenir « javelle » et l’uniformisation de la langue au XXe siècle a conservé la forme « Javel ».
L’eau de Javel a rapidement connu un vif succès comme décolorant, car auparavant, on devait exposer les toiles au soleil pendant des mois pour les blanchir ou à la rosée du matin.
En 1820, le pharmacien Antoine Germain Labarraque étudie les qualités désinfectantes des dérivés chlorés et des hypochlorites de potassium et de sodium. Il met au point une solution de chlorure et d’hypochlorite de sodium qu’il appelle « liqueur de Labarraque ».
En 1900, on appelait « eau de Javel » l’hypochlorite de potassium et « eau de Labarraque » l’hypochlorite de sodium. Plus tard, le procédé de fabrication a remplacé le potassium par le sodium, sans changement de nom.
À partir du XIXe siècle, l’eau de Javel est couramment utilisée comme désinfectant et pour le traitement de l’eau potable.
Les chlorures décolorants, hypochlorites de sodium (eau de Javel) et de calcium (chlorure de chaux), ont été le premier débouché du chlore. Ils étaient obtenus par action du chlore sur les solutions de soude ou sur la chaux éteinte. Le chlore liquide a remplacé peu à peu le chlorure de chaux, qui est un mélange d’hypochlorite de calcium Ca(ClO)2 et de chlorure de calcium CaCl2 utilisé comme agent décolorant actif avant l’eau de Javel (jusqu’en 1925).

Les différentes formes d’eau de Javel

L’eau de Javel se présente sous forme liquide (en bouteilles ou en berlingots) ou solide (en pastilles) et doit par ailleurs être conservée à l’abri de la lumière et de la chaleur.
L’eau de Javel est commercialisée sous plusieurs niveaux de dilution. La quantité de chlore est exprimée en pourcentage de chlore actif.
Le produit commercial change de nom en fonction de la dilution.
• extrait de Javel : produit contenant 9,6 % de chlore actif.
• eau de Javel : produit en bouteille contenant 2,6 % de chlore actif.
• eau de Javel concentrée : produit en berlingot contenant à 4.8 % % de chlore actif.
• eau de Labarraque : eau de javel diluée.
• Les pastilles d’eau de Javel sont en fait des pastilles de dichloroisocyanurate de sodium. Lorsqu’elles sont dissoutes dans l’eau, le dichloroisocyanurate de sodium réagit avec l’eau pour donner de l’hypochlorite de sodium et de l’acide cyanurique.
L’eau de Javel doit être conservée en emballage opaque et au frais, car les ions hypochlorite sont dégradés par les UV solaires et la chaleur.

La javellisation

La javellisation est l’utilisation de l’eau de Javel essentiellement comme désinfectant.
La Javel désinfecte l’eau lors du traitement de l’eau potable. Le chlore a des propriétés rémanentes, ce qui signifie que son action désinfectante est valable sur tout le long du réseau de distribution d’eau.

La verdunisation

Extrait de Javel le Coq Gaulois

La verdunisation est un procédé de désinfection de l’eau mis au point par Philippe Bunau-Varilla qui consiste à injecter de l’eau de Javel diluée juste à l’entrée des pompes centrifuges. Le brassage énergique du mélange agit synergiquement avec le désinfectant, améliorant l’efficacité de la désinfection. La technique, d’abord testée à Paris en 1911, a été améliorée par l’optimisation des doses de chlore et l’automatisation, pour aboutir à l’« autojavelliseur automatique » de Bunau-Varilla. Ce procédé de chloration fut d’abord testé dans la région de Verdun à la suite de la bataille de 1916 et pendant et après la Première Guerre mondiale, dans une zone particulièrement vulnérable aux épidémies en raison de la présence d’une multitude de cadavres humains et animaux dans les cours d’eau et sur les points d’eau.

L’eau de Javel

L’eau de Javel peut être utilisée pour désinfecter les sanitaires, les sols, les éviers et les paillasses. Elle est parfois ajoutée à la lessive pour assainir et « blanchir » le linge ou pour enlever des taches tenaces sur des vêtements en coton blanc. L’eau de javel peut être utilisée sous certaine précaution dans les eaux de piscine, car cette utilisation étant sujette à caution, parce que l’action de l’eau de Javel fait monter le pH de l’eau très au-dessus de la moyenne.
Pour être efficace, une dose ouverte doit être rapidement utilisée, et il convient de respecter la date limite d’utilisation du produit.
L’eau de Labarraque est le principal composant de la liqueur de Dakin, utilisée comme antiseptique.

Eau de Dakin

Eau de Dakin

L’eau de Dakin, connu également sous les appellations « solution de Dakin », « liqueur de Dakin » ou encore tout simplement « Dakin est un liquide antiseptique utilisé pour le lavage des plaies et des muqueuses, de couleur rose et à l’odeur d’eau de Javel.
Elle fut mise au point durant la Première Guerre mondiale par le chimiste d’origine britannique installé aux États-Unis Henry Drysdale Dakin et par le chirurgien français Alexis Carrel afin de trouver un antiseptique pour les plaies ouvertes ou infectées.
Cette liqueur de Dakin dont la substance active est l’eau de Javel, a pour avantage de ne pas être colorante et de ne pas produire de sensation d’irritation à l’usage. C’est une solution à base d’hypochlorite de sodium à 0,5 % de chlore actif additionnée de permanganate de potassium.
Comme tous les dérivés chlorés, le Dakin a une forte action contre les bactéries, les levures, les moisissures, les virus nus ou enveloppés et les spores.

Précaution d’emploi et environnement

Malgré ses nombreuses qualités, l’eau de javel n’en reste pas moins un produit dangereux qu’il faut manipuler avec précaution et être tenue à l’abri des enfants. En cas de projection, il faut rincer longuement et abondamment à l’eau claire.

  • L’eau de Javel ne doit pas être employée pour nettoyer des ustensiles en aluminium, inox ou argent, qu’elle noircit.
  • Elle ne doit pas être mélangée à de l’eau chaude, ni mélangée à d’autres biocides ou agents nettoyants à cause d’émanations toxiques possibles.
  • Elle ne doit en aucun cas être mélangée à des acides mêmes doux comme le vinaigre ou le jus de citron, car elle réagit violemment en émettant de la vapeur de dichlore, très toxique.
  • Également, elle ne doit pas être mélangée à de l’ammoniaque ou tout autre produit azoté, parce que la réaction chimique qui s’ensuit dégage des chloramines gazeuses sont très irritantes. C’est cette réaction qui a lieu lorsqu’un nageur transpire ou urine dans une piscine désinfectée au chlore. C’est aussi la raison pour laquelle il ne faut pas nettoyer une litière d’un animal domestique avec de l’eau de Javel. L’urée contenue dans l’urine est un produit azoté. Il va donc se former des chloramines irritantes pour les muqueuses et les yeux.

Pour la désinfection des surfaces, elle doit être correctement diluée et uniquement utilisée après nettoyage complet par un détergent suivi d’un rinçage, pour une désinfection efficace et pour ne pas favoriser l’apparition du phénomène de résistance au chlore chez certains microbes et parasites, dont les cryptosporidies (et notamment Cryptosporidium parvum, parasite (protozoaire) qui peut se développer dans les piscines et qui développe rapidement des résistances à de nombreux biocides).
L’eau de Javel utilisée pour la désinfection des sols ou des toilettes est présente via les effluents domestiques, dans les bondes d’évier, dans les égouts et dans certaines stations d’épuration, où elle perd rapidement son pouvoir oxydant en raison de la grande quantité de matière oxydable qui y est présente, mais elle pourrait contribuer à y sélectionner des organismes chlororésistants ou produire des métabolites indésirables. Elle peut produire également des dérivés chlorés dont certains sont susceptibles de dégazer dans l’air.
En raison de son action corrosive et super-oxydante, tout rejet accidentel ou chronique direct en milieu naturel peut avoir des conséquences éco-toxicologiques locales (le plancton est par exemple très sensible à de faibles doses de chlore). L’incinération de matières organiques contenant de l’eau de Javel active devrait être évitée en raison du risque de production d’organochlorés stables tels que furanes et dioxines.

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