Les œufs à la russe sont des œufs cuits durs, farcis, généralement coupé en deux et dont les blancs reçoivent une farce.
Traditionnellement, les œufs farcis étaient servis chauds et comportaient de nombreuses recettes. Ils pouvaient être cuits durs ou mollets, au four, à la poêle, à la casserole, ou en friture et le plus souvent accompagnés d’une sauce. Le grand classique est les œufs farcis à la Chimay où les blancs d’œufs durs sont farcis de champignons sur lit d’épinard. Ou encore les œufs farcis Lavallière dont la farce est composée de purée de volaille et nappés de sauce Mornay et de parmesan et dont les jaunes sont tamisés dessus après passage au four et servir sur ris de veau.
Depuis la fin du XIXᵉ siècle, sur le modèle de la cuisine russe, les œufs farcis servis froids et dont les jaunes ont été remplacés par une farce, une sauce type tartare, gribiche… ou du caviar, de l’anchoïade, voir du fromage sont appelés « œufs à la russe ». Ils ont donné lieu à de nombreuses variantes comme l’œuf mayonnaise, l’œuf mimosa ou encore l’œuf en gelée.
Le changement de consommation des œufs farcis, passant de chaud à froid, entraîne un changement de leur place dans le repas, ils passent de plat ou d’entremets, au milieu du repas, à celui d’entrée froide, de hors d’œuvre, de brunch, d’apéritifs, d’amuse-gueule, de tapas.
Les œufs à la diable sont une variante épicée d’œuf mayonnaise ou d’œuf mimosa. Le terme « à la diable » désigne simplement une préparation épicée, comme dans la « palette à la diable » où la viande est marinée puis cuite avec de la moutarde.
Le terme « œuf à la russe » ne doit pas être confondu avec celui « œuf de Fabergé » qui désigne les pièces de joaillerie en forme d’œuf créé par le Pierre-Karl Fabergé pour la fête de Pâques, notamment à l’attention des Tsars de toutes les Russies et de leurs épouses.
En Australie existe une variante d’œuf farci à base d’œuf d’émeu (sorte d’autruche) de la taille d’un pamplemousse. Les œufs lourds et de couleur noir verdâtre nécessitent 70 minutes de cuisson et leur coquille épaisse nécessite un maillet ou un couteau de cuisine pour l’ouvrir. Le blanc d’œuf cuit est ensuite découpé en petits morceaux et assaisonné d’une crème pâtissière classique à base de jaune.
Histoire des œufs farcis
L’œuf farci remonte à l’Égypte et à la Rome antique, où les œufs dur étaient assaisonnés de sauces épicées et servis en entrée lors de rassemblements et de festins. Servir des œufs à leurs invités était si courant pour les riches Romains qu’ils avaient même un dicton pour cela, « ab ova usque ad mala », qui signifie « des œufs aux pommes », ce qui signifie du début d’un repas à la fin.
Apicius célèbre gourmet du Ier siècle, nous donne une recette d’œufs farcis : « farcir les blancs d’œufs durs d’un mélange des jaunes et de marjolaine, safran, clous de girofle, un peu de fromage et d’œuf cru. Les frire avec du lard, les manger avec des légumes au verjus ».
Au Moyen Âge, des recettes d’œufs durs farcis aux herbes, au fromage et aux raisins secs se trouvent dans de nombreuses recettes de la cuisine européenne.
En 1085, on trouve des eyeren ghevaerest (jaune pilé avec du lait, farci puis frit).
Au XIIIᵉ siècle, l’Anonyme Andalou donne 2 recettes d’œufs durs farcis, mais elles sont loin de la finition et grains jaunes mimosa et persil vert :
- L137 Œufs farcis (demi œufs durs, farcis de leurs jaunes pilés avec graine de coriandre, jus d’oignon, garum, de l’huile d’olive, puis attachés ensemble, saupoudrés de poivre noir)
- L240 même recette épicée à la cannelle, badigeonnés de safran et frits, servis sous une sauce au nard et à la cannelle.
Ces deux recettes d’œufs farcis semblent être les plus proches de l’œuf farci des temps modernes.
L’humaniste, écrivain et gastronome italien de la Renaissance Bartolomeo Sacchi, dit « Platine » (il Platina) nous donne en 1462 une recette d’œufs farcis chauds « Farcir les œufs… avec un peu de menthe et du persil découpés menu bien peu de raisin, deux œufs crus. Les cuire avec du lard, servir avec du jus d’orange et du gingembre ».
Au XVᵉ siècle un livre de recette en bas allemand parle de halve eygere de ghevullet sym (demi œufs farcis), au XVIIᵉ siècle (1662), le recueil « le Cuisinier méthodique » fait une farce de cochon aux œufs durs farcis.
D’autres œufs farcis, souvent sucrés et toujours chauds, se rencontrent au XVᵉ siècle. Ce sont encore des œufs farcis chauds que donne l’auteur de livres de cuisine Pierre de Lune (1656), œufs farcis mollets et œufs farcis frits, puis le cuisinier français Pierre-François La Varenne (1655) et l’officier de bouche François Massialot (qui a travaillé comme chef cuisinier pour diverses cours)(1691) et ainsi pendant les XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles, les œufs farcis sont systématiquement frits, gratinés ou passés au four chaud. Les œufs farcis sont au XIXᵉ siècle un entremets chaud. Ceux d’Archambault (1825) sont des œufs reconstitués, remplis d’une farce à base de leurs jaunes cuits et de panade, passés au four et servis chauds, dans ceux de Catherine de Bonnechère (1895) la panade est remplacée par du riz.
Alphonse Allais en 1921 ne les connaît que chauds : « Connaissez-vous les œufs farcis ? C’est excellent. Vous faites durcir vos œufs, vous les coupez en long et vous retirez le jaune. À ce jaune, vous ajoutez de la viande hachée menue, du persil, du cerfeuil, etc. ; vous faites une farce que vous mettez à la place du jaune. Vous faites ensuite mijoter le tout dans un plat couvert sur un feu doux. Je le répète : c’est exquis ».
Les influences de la cuisine russe
Aux XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, l’agrandissement de l’Empire russe, la proximité de la route de la soie, du Caucase, de la Perse, de l’Empire ottoman et des puissances Européenne ont apporté des techniques culinaires et des nourritures plus raffinées. C’est durant cette période que furent introduits dans la cuisine russe, au moins pour l’aristocratie urbaine et l’élite provinciale, les viandes et poissons fumés, la pâtisserie, les salades et légumes verts, le chocolat, les desserts glacés, les vins et les liqueurs. Cela fut le point de départ d’une intégration créative de ces nouvelles techniques alimentaires avec les plats russes traditionnels. Cela déboucha sur une grande variété de techniques, d’assaisonnements et de combinaisons d’ingrédients.
À l’époque de Catherine II (1762 – 1796), chacune des grandes familles influentes russes faisait venir des produits et du personnel, essentiellement d’Allemagne, d’Autriche et de France, pour fournir à sa table les plats les plus raffinés, les plus rares et les plus créatifs. C’est particulièrement évident dans la cuisine pratiquée par les chefs franco-russes, excitante, élégante, toutes en nuance et décadente. De nombreux plats qui sont considérés en Europe occidentale comme faisant partie de la cuisine russe traditionnelle sont en réalité la création de la cuisine franco-russe des XVIIIᵉ et XIXᵉ siècles et comprennent des plats aussi répandus que le veau Orloff, le bœuf Stroganov et la charlotte russe.
Le service à la russe
Si depuis le Moyen Âge, en Europe, les dîners de l’aristocratie étaient servis « à la française » où tous les plats étaient tous présentés en même temps, il en fut de même en Russie pour les repas de réception formels jusqu’au XIXᵉ siècle. En Russie, avec l’agrandissement de l’Empire et l’accroissement financière des grandes familles amenèrent à faire évoluer le service à la française vers un service plus raffiné où les convives, assis autour d’une table, sont servis à la portion et peuvent manger chaud, ce que le service précédent ne permettait pas d’atteindre réellement. Ce nouveau type de service est appelé « à la russe ». Le service à la russe préfigure la restauration en salle moderne et ses rites de consommation où tout est convenu.
Bien qu’un cafetier, imitant les rites nouvellement mis en usage dans l’aristocratie, inaugure le premier restaurant ouvert à Paris vers 1765, selon La Revue de Famille (1893) Le service à la russe a été introduit en France en juin 1810, à Clichy, par le prince Alexandre Kourakine, ambassadeur de Russie en France entre 1808 et 1812. Depuis, le service à la russe a remplacé le service à la française en France et dans toute la partie occidentale de l’Europe.
Les Œufs farcis froids ou à la Russe
Dès le XIXᵉ siècle, la Russie est connue pour sa grosse production de volailles et ses exportations d’œufs, mais aussi pour son énorme consommation d’œufs durs à la Pâques orthodoxe où ces œufs durs sont servis et consommés froids. A. Petit (1860), chef de cuisine du Comte Viktor Panine écrit : « l’usage dans toutes les familles russes en général, et n’importe dans quel pays elles se trouvent, [est] d’avoir au retour de la messe de minuit qui se célèbre dans la nuit du samedi saint au dimanche de Pâques, une table toute dressée et couverte en ambigu, de plats froids [dont 2 plats d’œufs colorés], pâtisseries, dessert, etc. et quelquefois aussi d’un ou deux plats chauds de volaille, veau ou gibier ».
Mais il faut attendre 1845, qu’Henriette Davidis, auteur de livre en langue allemande, donne la première recette d’œufs à la russe dans son livre Praktischem Kochbuch (livre de cuisine pratique) : « Les œufs durs sont mis à refroidir dans de l’eau froide, puis écalés et placés entiers dans un saladier, où ils sont arrosés d’une sauce tartare assaisonnée de ciboulette ».
1872, pour que le nom « d’œufs à la Russe » apparaisse sous la plume du cuisinier français Urbain Dubois qui pour la première fois en français donne une recette d’œufs durs farcis d’un salpicon de homard sauce à la russe (moutarde, vinaigre, huile d’olive) présentés debout, qu’« on sert comme hors-d’œuvre froid ».
Et en langue anglaise, 1896, que Fannie Farmer, experte culinaire américaine, publie la première recette d’œufs farcis (avec une mayonnaise à la volaille) servis froids, les deviled egg.
Très rapidement, les œufs à la russe connaissent le succès et les recettes évoluent rapidement : en 1903, Tante Rosalie dans « Le petit Troyen » donne des œufs durs froids farcis de mayonnaise, jaunes cuit, et jambon, avec estragon, cerfeuil et persil hachés. L’expression « Œufs à la russe » est utilisée dans la presse francophone de 1871 à 1935, ensuite, elle tombe en désuétudes. C’est seulement en 1912 que se répandent des recettes d’œufs farcis froids (et non plus à la russe) : Œufs farcis Maintenon (Jaune pilé avec du foie gras), Œufs farcis aux crevettes (mayonnaise, crevettes).